LES PHOTOS FARFELUES DE LA MARINE IMPERIALE RUSSE (SUITE)

LES PHOTOS FARFELUES DE LA MARINE IMPERIALE RUSSE (SUITE)

Il était de tradition dans la presse de l’émigration russe de commenter les publications, le plus souvent afin de rectifier les erreurs et non dans un but critique. A l’heure des copiés-collés et des erreurs épidémiques, il nous a paru d’actualité de perpétuer cette tradition.

Nous avions indiqué dans notre article précédent « L’EVACUATION DE LA CRIMEE : LE GRAND EXODE RUSSE ? LES PHOTOS FARFELUES. LA FIN DE LA GUERRE CIVILE » que la photo suivante

Traduction de la légende : « Embarquement du premier échelon de cavalerie vers la Serbie« 

n’était pas celle de l’évacuation de la Crimée, mais celle de l’embarquement à Gallipoli en août 1921 du premier échelon de cavalerie à bord du transport 410 pour la Serbie.

Cependant, lors de la conférence historique du 1er décembre 2021 organisée par le CMIR au Centre de Russie pour la science et la culture, cette photo fut présentée à nouveau dans le cadre de l’évacuation de la Crimée. Les commentaires du conférencier, furent les suivants :

« Embarquement sur le transport 22 qui était commandé par le grand-père de notre secrétaire général, ça se passe à Constantinople. »

Cette photo provient d’un album bien connu des historiens de la guerre civile russe, qui se trouve en France et qui s’intitule Album N° 1 du 1er corps d’armée à Gallipoli 1920 – 1921.

La photo commentée lors de la conférence est précédée par une autre photo commentée placée sur la même page de l’album :

Traduction de la légende : « Départ du premier échelon de cavalerie à destination de la Serbie. Le général Koutepoff inspecte l’unité avant l’embarquement. »

Le navire est un Elpidifor qui était, à l’origine, un navire de débarquement, utilisé pendant la guerre civile en qualité de transport de troupes, de canonnière ou de dragueur de mines. Il fut particulièrement précieux en raison de la simplicité de son entretien et de son faible tirant d’eau qui lui permettait de naviguer à proximité des côtes de la Mer Noire et de la Mer d’Azov qui comportaient de nombreuses zones marines peu profondes.

Schéma d’un Elpidifor (variante canonnière.

S’agissant des commentaires du conférencier, l’embarquement de la photo ne se passait par conséquent ni en Crimée, ni à Constantinople mais à Gallipoli le 4 août 1921 (il y a eu une seconde rotation du même navire pour le même échelon de cavalerie par la suite). Il ne s’agit pas du transport 22, mais du transport 410. Le grand-père de la secrétaire générale du CMIR ne commandait aucun Elpidifor ni transport, par contre, le père qui se nommait Vassili Trophimovitch Mirotchnitchenko, était lieutenant et il servait sur l’Elpidifor 412 et non le 410, en qualité de troisième officier sous le commandement du capitaine de corvette Gavricheff et ne le commandait, par conséquent pas non plus. Le transport 412 est venu un peu plus tard le 12 août (13 ?) pour transporter en Serbie le second échelon de cavalerie en Serbie. 1Cet embarquement est décrit par Davatz dans ses mémoires mais il parle du 13 août.

Traduction de la légende : « Expédition du second échelon de cavalerie en Serbie. Dragueur de mines N° 412.« 


Une nouvelle photo farfelue vient de paraître sur le site du CMIR :

Cette photo figure avec le libellé « Officiers du Kagoul » en page 18/20 de l’ HISTOIRE DU CROISEUR OTCHAKOV-KAGOUL- GENERAL KORNILOV-PARTIE I- 1 900 – 1913.


Première incohérence : assis, au beau milieu, le lieutenant Schmidt fusillé le 19 mars 1906 alors que le croiseur Otchakoff fut baptisé Kagoul le 25 mars 1907.


Deuxième incohérence : figure sur la photo Harald Karlovitch Graf (derrière le lieutenant Schmidt) auteur de nombreux ouvrages, dont la carrière est bien connue et qui n’avait jamais servi ni sur l’Otchakoff, ni sur le Kagoul.


Troisième incohérence : à droite, debout, figure le capitaine de frégate Ergomycheff qui n’avait jamais servi,  ni sur l’Otchakoff ni sur le Kagoul….

Il s’agit en réalité des officiers du cargo (Transport) « Irtych ». La photo a été prise vraisemblablement fin 1904.

Les circonstances de la photo sont les suivantes :  le 10 mai 1904, par ordre du Département de la Marine, le capitaine de frégate Ergomycheff est relevé du poste de commandant du cuirassé de défense côtière Tcharodeika et affecté au commandement du transport Irtych. Le cargo Irtych, intégré dans la 2e escadre du Pacifique, devait rejoindre l’océan Pacifique chargé de charbon pour ravitailler les escadres russes envoyées en Extrême-Orient à Port Arthur puis Vladivostok dans le cadre de la guerre russo-japonaise. L’ affectation n’était pas des plus enviables, il s’agit du navire le plus lent de l’escadre, d’un cargo armé de quelques canons. Le second était le lieutenant Schmidt 2Qui fut appelé à commander les navires de la mutinerie de Sébastopol de 1905 dont le commandant se serait bien passé. La plupart des officiers était des officiers réservistes3Comme le lieutenant Schmidt qui avait, à cette date, quitté la Marine Impériale ou des officiers de la flotte marchande

Fin 1904 le navire stationnait à Libau (Liepāja).

L’Irtych à Libau fin 1904 en cours de chargement avec du charbon.



Lors d’une soirée à Libau, le lieutenant Schmidt frappa l’officier de la marine Dmitrieff et déclencha une bagarre. Il fut débarqué sur la route à Port Saïd « pour raison de santé ». Lors de la bataille de Tsushima, les 14 -15 mai 1905, le commandant donna l’ordre de saborder le navire, l’équipage fut sauvé, mais fait prisonnier. Le périple est décrit par Graf dans ses mémoires « Les marins » (« Моряки »).


  • 1
    Cet embarquement est décrit par Davatz dans ses mémoires mais il parle du 13 août.
  • 2
    Qui fut appelé à commander les navires de la mutinerie de Sébastopol de 1905
  • 3
    Comme le lieutenant Schmidt qui avait, à cette date, quitté la Marine Impériale

9 réflexions sur « LES PHOTOS FARFELUES DE LA MARINE IMPERIALE RUSSE (SUITE) »

  1. Merci à Paul Loukine dont l’opiniâtre combat pour la vérité historique est digne d’admiration. Il faudrait vraiment arrêter d’attribuer la photo (virale) du transport 410 à l’évacuation des forces du général Wrangel de Sébastopol en novembre 1920, alors qu’il s’agît du départ vers la Serbie, en août 1921, d’unités blanches cantonnées à Gallipoli.

  2. Merci cher Paul pour ces informations très intéressantes et pour vos efforts à rétablir la vérité historique. Concernant la photo « Embarquement du premier échelon de cavalerie vers la Serbie », on la retrouve aussi dans l’album « Russkaia Armiia v Gallipoli » de la collection Wrangel à la Hoover Institute (https://digitalcollections.hoover.org/objects/59077). Sa légende est bien : « Отъѣздъ въ Сербію. Погрузка на пароходъ ».

    1. Gallipoli, 4 août 1921. Embarquement du premier échelon de cavalerie à bord du vapeur Elpidifor 410 vers Thessalonique, d’où ils seront transférés par chemin de fer en Serbie. Photo tirée de l’album dit de Gallipoli du major-général Anton Turkul, commandant de la division Drozdov.

      1. Merci Paul pour vos commentaires.
        S’agissant de « vers Thessalonique, d’où ils seront transférés par chemin de fer en Serbie », quelles sont vos sources ?
        Bien amicalement,
        Paul Loukine

  3. Cher Paul,

    Je n’avais pas vu votre exposé sur la photo « farfelue » de l’équipage que j’ai mise dans l’histoire du Kornilov que j’ai écrite car je n’avais pas rouvert votre article après sa première émission .
    Je m’étonne que vous ne m’ayez pas contacté pour m’en faire la remarque …

    Je vous aurais dit la source de cette photo: elle provient d’ un livre extrêmement documenté sur « le croiseur Otchakov » de Rafail Mikhailovitch Melnikov, qui est l’auteur de 24 livres sur la marine impériale russe. On la retrouve sur cette publication internet: Coollib.com Рафаил Мельников Крейсер «Очаков».
    On trouve aussi à propos de cet auteur les compliments suivants :
    « Parmi les nombreux auteurs qui écrivent sur l’histoire de la construction navale en Russie, une place particulière est occupée par Rafail Mikhaïlovitch Melnikov, ingénieur en construction navale, vétéran de l’Institut central de recherche nommé d’après l’académicien A.N. Krylov, qui est l’un des fondateurs de cette direction dans notre littérature. Presque tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la marine russe, jusqu’à récemment, considéraient comme une bénédiction d’acheter ses monographies « Croiseur Varyag », « Cuirassé « Potemkine », « Rurik a été le premier ». À une époque où l’accès aux archives n’était ouvert qu’à quelques privilégiés, la parution de chaque nouveau livre ou article dans la revue « Shipbuilding », relatant la construction et le destin d’un navire, entré en service avant octobre 1917, était un événement »

    Le croiseur Kagoul s’appelait « Otchakov » pendant sa construction. Il y a plusieurs photos de l’équipage à diverses époques dans le livre de Rafail Melnikov, celle-ci correspond dans son ouvrage au premier équipage, apparemment pendant sa construction ou essais qui avaient été commencés en 1905 avant le soulèvement à Sébastopol mené par Schmidt et les réparations après l’incendie qui n’ont permis la remise en service qu’en 1910.
    Vous avez peut-être ou sans doute raison, et Rafail Melnikov a peut-être eu une mauvaise information.
    En tout état de cause, j’ai dans mes recherches historiques , un principe: recouper les informations, et  » dans le doute abstiens-toi » . Là je n’avais trouvé aucun recoupement de cette photo, et la qualité de l’auteur et de ce qu’il a écrit dans cet ouvrage ne m’amenait aucun doute. J’ai cependant appliqué mes principes suite à votre post et supprimé cette photo de mon document.
    Mais puis-je vous demander quelle est votre source ? Sur quel document historique avez-vous cette photo comme représentant l’équipage du transport  » Irtych », et comment identifiez-vous les personnages?

    Je vais aussi réagir un peu sur l’autre photo que vous qualifiez de « farfelue » .
    Cette photo, comme vous le savez, est la photo la plus utilisée, à tort ou à raison, pour illustrer des articles sur l’exode.
    Tenez: elle est même utilisée pour illustrer le « rappel historique de l’immigration russe en France » en introduction du beau livre  » Un Coin de Russie à Sainte-Geneviève- des- Bois  » , édition 2019, auquel vous avez précieusement contribué au nom du CMIR.
    Donc, même si souvent utilisée « à tort » au fond ou disons qu’elle peut induire une compréhension autre que ce qu’elle représente , dans la pratique elle est la première photo d’illustration du grand exode de Crimée.

    Bien amicalement
    Alain

    1. Cher Alain,
      La revue historique « Les navires de guerre du monde » («Боевые корабли Мира») contient la réédition de l’ouvrage de Melnikov, le « Croiseur Otchakoff », une référence pour les historiens de la Marine. L’éditeur, semble-t-il, a cru bon d’ajouter à la suite de l’ouvrage de Melnikov, des compléments ou des photos. Il s’agit d’un article de Pierre Moultatouli, un « historien » friand de thèses complotistes, grand amateur de sensationnel dont le sérieux est régulièrement mis en doute et d’ un article concernant la cérémonie solennelle du retour du pavillon du Guénéral Korniloff (ex-Otchakoff) à la mère patrie, qui croupit aujourd’hui dans une cave très exactement comme le drapeau du 1er régiment de choc du général Korniloff remis tout aussi solennellement. S’agissant des photos, certaines n’ont rien à voir avec le contenu de l’ouvrage de Melnikov et c’est le cas de la photo de l’équipage de l’Irtych qui n’a, par ailleurs, jamais figuré dans l’ouvrage de Melnikov mais seulement, sans doute sur décision de l’éditeur, dans ce recueil. Votre source n’est donc pas Melnikov.
      Vous me demandez quelles sont mes sources. Cette photo appartient à notre famille et l’original est détenu par des cousins de Fédération de Russie qui se nomment Ounkovsky. Le commandant de l’Irtych qui figure sur la photo, le capitaine de frégate Ergomychev, est mon arrière grand-oncle. Ma tante, qui a vécu jusqu’à 105 ans m’a raconté des bribes de son histoire, histoire que j’ai pu vérifier et compléter en consultant des documents d’archives.
      Je vous remercie de me rappeler que la photo « farfelue » de l’exode figure dans  » Un Coin de Russie à Sainte-Geneviève-des- Bois « . J’ai effectivement participé à titre personnel (bien que cité en qualité de membre du CMIR que j’étais à l’époque) pour quelques biographies, comme précisé dans l’ouvrage, pour lesquelles j’ai transmis des photos. J’ai de plus constitué une liste des officiers de la Marine Impériale de Russie inhumés dans ce cimetière. Je n’ai pas participé au choix des autres photos. Bien que contenant une photo farfelue, l’ouvrage est intéressant, vous en conviendrez, je l’espère.
      Je profite cher Alain que vous abordiez le sujet du cimetière de SGdB pour vous signaler que des tombes du CMIR et d’autres tombes d’officiers de la Marine sont dans un état affligeant. J’en entretiens personnellement quelques-unes, mais je souhaiterais voir de temps à autre des membres du CMIR se retrousser les manches.
      Vous me demandez mon avis, même si une photo peut « induire une compréhension autre que ce qu’elle représente » la photo de la flottille de transports de la Flotte de la mer Noire qui se dirige vers Rize pour débarquer deux brigades cosaques « Plastouny » dans le cadre de l’opération de Trapezound ne peut « induire » qu’une compréhension de l’évacuation de Crimée inexacte. Il s’agit sur la photos d’une colonne ordonnée de navire de même taille alors que lors de l’évacuation de Crimée qui s’est échelonnée sur plusieurs jours, il ne pouvait y avoir aucune colonne ordonnée, il s’agissait d’une armada on ne peut plus disparate de navires de toutes tailles, du géant Guénéral Alexeeff à de minuscule yachts ou vedettes, des goélettes, des remorqueurs, des elpifidors, des sous-marins, des chalands, un bateau phare, des navires français, des USA, anglais, italiens, grecs , polonais, gitant pour certain, remorquant, pour la plupart des navires russes, d’autres navires, le tout marchant à des vitesse différentes comme ils pouvaient. Le Cronstadt remorquait 4 navires. Voyez-vous quelque chose de semblable sur la photo ? Il me semble qu’une photo ne peut être éditée pour ce qu’elle ne représente pas à moins de comporter des mentions explicatives justifiant cette édition.
      Bien amicalement,
      Paul

  4. Cher Paul

    Merci de votre réponse toujours aussi documentée.
    Pour SGdB , je partage tout à fait votre sentiment sur la nécessité de la préservation des tombes des marins dont celles dont le CMIR est concessionnaire .
    Heureusement il y a d’autres personnes , dont du CMIR, qui y sont attentives à titre individuel. Il y a le CESOR, qui propose des possibilités et travaille pour plus de possibilités d’action…
    Mais, vous le savez, le sujet est assez compliqué pour les tombes  » CMIR » et il retient toute notre attention.
    Ce n’est pas si simple quand , pour le moment, il n’y a plus de financement russe du fait de l’opposition de la Mairie, et pas d’association  » d’utilité publique » à pouvoir intervenir, malgré le fait que SGdB soit classé à l’ ISMH. Le programme russe se chiffrait en centaines de milliers d’euros (déjà 1 million avait été dépensé).

    Mais il faut travailler le sujet…et on y participe.

    Bien amicalement

    Alain

  5. Sur demande de Macha Cartron-Mirochnitchenko je place son commentaire :

    « En lisant le texte d’une conférence du 1er décembre 2021 organisée par le CMIR au centre de Russie pour la Science et la Culture, j’ai pu constater que certaines informations étaient erronées. Ces informations concernent mon père :

    Mon père Vassili Trophimovitch Mirochnitchenko (1893-1947) était bien mon père, et non mon grand-père. Son prénom était Vassili et non Yvan né à Strelzovska et mort à Paris – arrivé en France en 1923. Il était bien 3ème officier-lieutenant sur le transport 412 (rôle d’équipage en pièce jointe) que je détiens de mon père qui avait ramené avec lui tous ses papiers militaires. Je n’ai jamais dit que mon père commandait le transport 412. Le rôle d’équipage du 412, écrit curieusement en français.

    Toutes ces informations, avec les justificatifs (livret militaire, médailles, service dans l’aéronavale à Bakou) ont été communiqués en russe au président de l’AAOMIR à l’époque pour me permettre d’adhérer à cette association. »

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