MEA-CULPA !
Dans notre article « Un coin de Russie à Sainte-Geneviève des Bois vient de paraître », figurait la traduction de l’extrait d’un poème « Ici dorment rêves et prières, larmes et courage»… Quelle erreur ! Il nous avait semblé que cette citation, extraite d’un poème du poète soviétique Robert Rojdestvenski, était de circonstance sans toutefois nous pencher sur la totalité du poème qui avait donné lieu, nous ne l’avons découvert que plus tard, à une polémique et un émoi des plus justifiés au sein de la « colonie russe » de France. Mea-culpa !
Ce poème fut édité en 1984 dans le journal Iounost («Юность») et n’existait pas en langue française. Nous l’avons traduit à la va-vite :
Un cimetière en banlieue de Paris1Кладбище под Парижем
Роберт Рождественский
Малая церковка, свечи оплывшие,
Камень дождями изрыт добела.
Здесь похоронены бывшие, бывшие,
Кладбище Сент-Женевьев-де-Буа.
Здесь похоронены сны и молитвы,
Слезы и доблесть, прощай и ура,
Штабс-капитаны и гардемарины,
Хваты-полковники и юнкера.
Белая гвардия, белая стая,
Белое воинство, белая кость.
Влажные плиты травой зарастают.
Русские буквы — французский погост.
Я прикасаюсь ладонью к истории,
Я прохожу по гражданской войне.
О, как же хотелось им в первопрестольную
Въехать однажды на белом коне.
Не было славы — не стало и Родины,
Сердца не стало, а память жива.
Ваши сиятельства, их благородия
Вместе на Сент-Женевьев-де-Буа.
Плотно лежат они вдоволь познавшие
Муки свои и дороги свои.
Все-таки русские, все-таки наши,
Только не наши они, а ничьи.
Как они после забытые бывшие,
Все проклиная, и нынче, и впредь,
Рвались взглянуть на нее победившую,
Пусть непонятную, пусть не простившую
Землю родимую и умереть.
Полдень. Березовый отзвук покоя.
В небе российские купола.
И облака, будто белые кони,
Мчатся над Сент-Женевьев-де-Буа.
И облака, будто белые кони,
Мчатся над Сент-Женевьев-де-Буа
Petite église, bougies fondues,
Pierres usées par les pluies.
Ceux qui « ont été », dorment ici,
Au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois
Ici dorment rêves et prières,
Larmes et courage, adieux et hourras,
Capitaines et gardes-marine,
Colonels et cadets.
La garde blanche, meute blanche,
Guerrier blanc et sang bleu,
Dalles humides recouvertes d’herbe.
Lettres russes – cimetière français.
Par la paume de ma main, je penêtre l’histoire,
Traversant la guerre civile.
Comme ils voulaient, dans la première capitale,
Entrer, chevauchant un cheval blanc.
Pas de gloire – pas de patrie,
Cœur perdu, le souvenir demeure.
Vos Altesses et vos Excellences, Gisent ensemble à Saint-Geneviève-des-Bois.
Ils reposent côte à côte, ayant goûté
Souffrance et errance, à satiété
Après tout Russes, ils sont nôtres,
Seulement pas des notre, mais ceux de personne.
Et par la suite ces « ont été « oubliés
Maudissant tout, maintenant et dans l’avenir,
Brûlant d’envie de voir victorieuse,
Bien qu’incompréhensible et n’ayant pas pardonné,
La terre natale et mourir.
Midi. Le bosquet de bouleaux résonne de paix.
Dans le ciel, des coupoles russes.
Et tels des chevaux blancs, les nuages
Filent dans le ciel de Sainte-Geneviève-des-Bois.
Et les nuages tels des chevaux blancs,
Filent dans le ciel de Sainte-Geneviève-des-Bois.
Plusieurs vers étaient inconvenants. La réponse se fit attendre et ne fut éditée, sous forme de poème de la poétesse Florentina Bolodoueva, dans le journal de l’émigration russe « Tchassovoï » (« La sentinelle ») qu’en 1986, poème que nous avons traduit de notre mieux :
Cimetière russe. 2Русское кладбище
В ответ советскому поэту Рождественскому
Белая церковь, березки, звонница,
Крест, голубые под ним купола,
Елочки, русских могил вереница…
Кладбище Сент-Женевьев-де-Буа.
Белая Армия, Белое войско,
Андреевский флаг и Георгиевский крест…
Приняли жребий мы с мужеством, стойко –
Отчий наш дом за три тысячи верст…
Нас было мало — ведь в битве неравной
Столько легло нас в тяжелом бою!
За Веру, за Русь пали смертию славной,
Кровь не щадя за Отчизну свою…
Нет! Не « ничьи » мы — России великой,
Честь мы спасать добровольно пошли.
Но, побежденные силою дикой,
С скорбью в душе мы в изгнанье ушли.
Больше полвека по свету скитаясь,
Родины честь мы достойно несли,
Верны присяге своей оставаясь,
Славу былую её берегли.
В чуждой земле, в « подпарижском » кладбище,
Вечный покой мы в могиле нашли.
Прожили жизнь мы хоть скудно и нище,
Веры, любви мы лампаду зажгли…
Детям мы нашим её передали –
Нас не забудет людская молва!
Архистратиг на Господни скрижали
Впишет мечом наши все имена.
Мы здесь истории повесть живая,
Вечную память нам ветер поет.
С Родины дальней пусть гость, приезжая,
Летопись Белую нашу прочтет!
En réponse au poète soviétique Rojdestvenski.
L’église blanche, les bouleaux, le beffroi,
Les coupoles bleues en dessous, sous la croix,
Les sapins, les tombes russes alignées en sous-bois…
Au cimetière russe, Sainte-Geneviève-des-Bois.
L’armée blanche, blanche phalange,
Croix de Saint André et celles de St Georges…
Notre sort, accepté avec force et courage,
Les maisons de nos pères, laissé au loin, après un long voyage…
Nous étions peu nombreux, car dans la lutte inégale
Tant d’entre nous sont tombés au difficile combat !
Ils sont morts, mort glorieuse, pour la Russie, pour la foi,
Versant notre sang pour notre pays natal.
Nous ne sommes pas des parias, mais de la Grande Russie,
Pour sauver notre honneur, de notre gré sommes partis.
Et vaincus par une force brutale indomptée
La tristesse dans nos âmes, à l’exil condamnés
Un demi-siècle et plus dans le monde errant,
Nous avons honoré notre pays dignement,
Nos serments tenus, fidèlement respectés,
Et gardé dans nos cœurs sa gloire passée.
Dans un pays étranger, dans un cimetière de banlieue,
Dans une tombe, le repos éternel fut trouvé.
Bien que vivant une vie pauvre de miséreux,
La flamme de la foi et de l’amour fut allumé.
Cette flamme, à nos enfants, l’avons leguée,
Et dans l’histoire nous ne serons pas oubliés !
L’Archistratège sur les tables des Lois,
De son épée, nos noms gravera.
Nous sommes de notre histoire, le récit vivant,
Notre souvenir éternel sera porté par le vent,
De notre lointaine patrie, le visiteur se promenant,
Lira sur les tombes la chronique des Blancs!
Notre Russie, avec nous l’avons prise, emportée,
La gardant dans nos cœurs, la chérissant dans la foi.
Les tempêtes de la vie nous ont impitoyablement chassés,
Nous, les Blancs, dormons à Sainte-Geneviève-des-Bois.
le 22 juin 1986, Paris
Florentina Bolodoueva
(traduction de Paul Loukine)
Robert Rojdestvenski fut indiscutablement un poète soviétique talentueux.
Né Pétkevitch, fils de Stanislav Nikodimovitch Pétkevitch, un agent de l’OGPEOU puis du NKVD, le poète fut nommé Robert en l’honneur de Robert Eihe3Fusillé en 1940., un des organisateurs des répressions paysannes et de la terreur Stalinienne. Le père de Robert quitta sa famille alors que Robert Stanislavovitch avait 5 ans et il prit, par la suite, le nom de famille de son beau-père Rojdestvenski. A partir de 1950, Robert Stanislavovitch commença à éditer ses poèmes. En 1963 il se fit tancer par Khrouchtchev en colère qui n’apprécia pas le poème « Oui, les garçons » ( «Да, мальчики») puis par le secrétaire du comité central, Kapitonoff et tomba en disgrâce. A partir de 1966, Robert Stanislavovitch revint sur le devant de la scène et reçut en 1972 la décoration du Komsomol de Lénine, devint secrétaire de l’Union des Écrivains de l’URSS en 1976, puis entra au Parti communiste en 1977. En 1979, il reçu la « prime d’état de l’URSS», titre honorifique, pour son poème 210 pas (« 210 шагов»).
Robert Stanislavovitch profitait de privilèges, voyageait fréquemment à l’étranger dans les « pays capitalistes », et faisait partie de la nomenklatura.
En 1993, le poète Rojdestvenski, signa la lettre des quarante deux4Publiée dans le journal Izvestia du 5 octobre 1993., lettre adressée au Président Eltsine, demandant d’interdire le parti communiste.
A la lecture de ce poème, lorsque Robert Stanislavovitch met l’accent sur la haute extraction et le sang bleu des militaires Blancs inhumés, on peut s’interroger s’il avait compris de quoi et de qui il parlait et/ou si ses écrits correspondaient à la propagandes soviétique de l’époque. Il nous a semblé qu’il s’agissait de l’un et de l’autre.
La propagande soviétique postulait que les militaires Blancs étaient des aristocrates tsaristes enragés, qui combattaient pour une retour au tsarisme et pour conserver leurs privilèges et leurs biens.
Un des premiers groupes qui prit les armes contre les Bolcheviques était l’Armée Populaire du Comité des membres de l’Assemblée constituante (Комитет членов Всероссийского Учредительного собрания) fondé par 5 députés socialistes-révolutionnaires et dont le premier groupe de combat fut constitué de socialistes-révolutionnaires. Les socialistes-révolutionnaires figuraient également parmi les ennemis du peuple.
S’agissant de l’origine aristocratique des Blancs, le général Korniloff qui prit le commandement de l’Armée des volontaires fin 1917, était fils d’un cosaque/paysan de l’Armée cosaque de Sibérie qui prit sa retraite avec le grade modeste de sous-lieutenant et n’appartenait pas à la noblesse. Le général était-il un officier Tsariste ? Le général Korniloff mis l’impératrice aux arrêts en mars 19175Sur ordre mais on ne lui connait pas d’opinion politique. Il était partisan d’un pouvoir fort et de l’assemblée constituante mais il était prêt à servir l’Empire russe quel que soit le gouvernement.
Le général Dénikine qui prit la succession de la tête de l’armée des volontaires à la mort du général Korniloff, puis les Forces armées du sud de la Russie était fils de serf. Ce dernier devint, il est vrai, officier, après 22 ans de service en qualité de soldat, puis général après 35 ans de service. Etait-il un officier Tsariste ? Le général Dénikine se déclara partisan de la monarchie constitutionnelle, c’est bien différent du « tsarisme », mais par ailleurs, il se déclara également partisan de l’Assemblée constituante.
La propagande soviétique avait été d’une grande efficacité et l’on trouve encore aujourd’hui, sur internet, des perles :
Les généraux Dénikine et Korniloff, qui faisaient partis des chefs parmi les connus du Mouvement Blancs n’étaient pas tsaristes et, par ailleurs, étaient d’une origine bien plus « prolétarienne » que Lénine6Fils d’un fonctionnaire de Saratov qui avait obtenu le grade de Conseiller d’état actif qui correspond au grade militaire de général et qui permettait d’obtenir la noblesse héréditaire., Trotsky 7Famille de riches propriétaires terriens de la région de Kherson qui n’exploitaient pas leur terres et pratiquaient le fermage. ou Toukhatchevsky 8Noblesse héréditaire de Smolensk commandant de la 7-ème armée qui reprima l’insurrection de Kronstadt puis de celle qui réprima l’insurrection des paysans de Tambov en utilisant l’armement chimique et gazant les paysans refugiés dans la forêt..
D’après une étude du chercheur D. M. Sofine de l’Université de Perme, en 1917, 46,84 % des officiers supérieurs de Russie appartenaient à la noblesse ou à la noblesse cosaque et on peut, par conséquent, supposer à juste titre que moins de la moitié des officiers supérieurs Blancs inhumés à Sainte-Geneviève-des-Bois appartenaient à la noblesse. On peut également supposer à juste titre que ce pourcentage était bien inférieur pour les officiers subalternes puisque la plupart des officiers subalternes étaient issu du rang, les officiers de la vieilles école ayant été décimés pendant la guerre.
Par ailleurs, appartenir à la noblesse ne signifiait pas « avoir du sang bleu ». De nombreux nobles, faisaient partie de la noblesse acquise par le mérite. Le cas du mitchman 9Grade correspondant à celui d’enseigne de vaisseau de 2-ème classe dans la Marine française. Dimitri Dimitrievitch Parfionov inhumé au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois dont nous connaissons bien le parcours et qui appartenait à la noblesse héréditaire, est révélateur : le père de Dimitri Dimitrievitch Parfionov, Dimitri Lavrentievitch Parfionoff né Brezgaloff, fils de paysan, demanda et obtint la noblesse en raison de son activité particulièrement importante dans le domaine de la charcuterie et plus particulièrement de la saucisse. Peut-on évoquer le sang bleu d’un fils de charcutier ?
Et voici un petit complément au poème de Florentina Bolodoueva pour faire pardonner mon incurie :
Cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois.
(Complément au poème de Florentina Bolodoueva adressé au camarade soviétique Rojdestvenski.)
Pourquoi, poète, es-tu passé par là ?
On ne passe pas par hasard à Sainte-Geneviève-des-Bois.
Cracher ton venin, aux Blancs morts, que tu décris « sans gloire » ?
Qui, tu le dis dans tes vers, ont pourtant bien écrit l’histoire.
Tu a connu la gloire, toi, mais à quel prix ?
Tu as servi la soupe, servilement, au parti,
Que tu as renié, après, une fois l’hydre abattue,
Tu ne parles pas d’honneur ? Est-ce une valeur superflue ?
Paul Loukine
30 octobre 2022
- 1Кладбище под Парижем
Роберт Рождественский
Малая церковка, свечи оплывшие,
Камень дождями изрыт добела.
Здесь похоронены бывшие, бывшие,
Кладбище Сент-Женевьев-де-Буа.
Здесь похоронены сны и молитвы,
Слезы и доблесть, прощай и ура,
Штабс-капитаны и гардемарины,
Хваты-полковники и юнкера.
Белая гвардия, белая стая,
Белое воинство, белая кость.
Влажные плиты травой зарастают.
Русские буквы — французский погост.
Я прикасаюсь ладонью к истории,
Я прохожу по гражданской войне.
О, как же хотелось им в первопрестольную
Въехать однажды на белом коне.
Не было славы — не стало и Родины,
Сердца не стало, а память жива.
Ваши сиятельства, их благородия
Вместе на Сент-Женевьев-де-Буа.
Плотно лежат они вдоволь познавшие
Муки свои и дороги свои.
Все-таки русские, все-таки наши,
Только не наши они, а ничьи.
Как они после забытые бывшие,
Все проклиная, и нынче, и впредь,
Рвались взглянуть на нее победившую,
Пусть непонятную, пусть не простившую
Землю родимую и умереть.
Полдень. Березовый отзвук покоя.
В небе российские купола.
И облака, будто белые кони,
Мчатся над Сент-Женевьев-де-Буа.
И облака, будто белые кони,
Мчатся над Сент-Женевьев-де-Буа - 2Русское кладбище
В ответ советскому поэту Рождественскому
Белая церковь, березки, звонница,
Крест, голубые под ним купола,
Елочки, русских могил вереница…
Кладбище Сент-Женевьев-де-Буа.
Белая Армия, Белое войско,
Андреевский флаг и Георгиевский крест…
Приняли жребий мы с мужеством, стойко –
Отчий наш дом за три тысячи верст…
Нас было мало — ведь в битве неравной
Столько легло нас в тяжелом бою!
За Веру, за Русь пали смертию славной,
Кровь не щадя за Отчизну свою…
Нет! Не « ничьи » мы — России великой,
Честь мы спасать добровольно пошли.
Но, побежденные силою дикой,
С скорбью в душе мы в изгнанье ушли.
Больше полвека по свету скитаясь,
Родины честь мы достойно несли,
Верны присяге своей оставаясь,
Славу былую её берегли.
В чуждой земле, в « подпарижском » кладбище,
Вечный покой мы в могиле нашли.
Прожили жизнь мы хоть скудно и нище,
Веры, любви мы лампаду зажгли…
Детям мы нашим её передали –
Нас не забудет людская молва!
Архистратиг на Господни скрижали
Впишет мечом наши все имена.
Мы здесь истории повесть живая,
Вечную память нам ветер поет.
С Родины дальней пусть гость, приезжая,
Летопись Белую нашу прочтет! - 3Fusillé en 1940.
- 4Publiée dans le journal Izvestia du 5 octobre 1993.
- 5Sur ordre
- 6Fils d’un fonctionnaire de Saratov qui avait obtenu le grade de Conseiller d’état actif qui correspond au grade militaire de général et qui permettait d’obtenir la noblesse héréditaire.
- 7Famille de riches propriétaires terriens de la région de Kherson qui n’exploitaient pas leur terres et pratiquaient le fermage.
- 8Noblesse héréditaire de Smolensk commandant de la 7-ème armée qui reprima l’insurrection de Kronstadt puis de celle qui réprima l’insurrection des paysans de Tambov en utilisant l’armement chimique et gazant les paysans refugiés dans la forêt.
- 9Grade correspondant à celui d’enseigne de vaisseau de 2-ème classe dans la Marine française.