BIZERTE. L’ARRIVÉE DE L’ESCADRE RUSSE.

BIZERTE. L’ARRIVÉE DE L’ESCADRE RUSSE.

UNE INVITÉE « INATTENDUE »: L’ESCADRE RUSSE. LA LONGUE ATTENTE ET LA SITUATION « SANITAIRE ».

Le vice-amiral Darrieus, préfet maritime et représentant des autorités françaises annonça qu’il s’agissait d’une arrivée totalement imprévue et qu’il n’avait reçu aucune instruction de Paris.

«  L’arrivée de l’Escadre à Bizerte pour les autorités locales était totalement imprévue, en tout cas le préfet maritime de Bizerte, le vice-amiral Darrieus n’avait à ce sujet absolument aucune directive de Paris. »[1] lit-on dans les rapports de l’état-major de l’Escadre.

L’amiral Berens écrivit au général Wrangel : « Malgré une certaine indécision concernant la situation dans les prescriptions des autorités françaises, leur attitude est intentionnée et prévenante. L’approvisionnement en nourriture et matériel est effectuée de façon ininterrompue depuis le premier jour. »[2]

Curieuse attitude que celle du vice-amiral Darrieus. Était-il mal à l’aise avec les procédures qu’il avait lui-même mise en place bien avant l’arrivée des navires, des mesures sévères de surveillance de la flotte russe et de communication avec l’escadre qui interdisait la communication avec la terre et même entre les navires, voulait-il gagner du temps pour évaluer la situation « sanitaire », ou bien avait-il reçu des consignes secrètes ? Sa correspondance aux archives de Toulon n’étant pas accessible, il est difficile de le comprendre.

La biographie du vice-amiral Darrieus, un homme particulièrement brillant, inventif, actif et bon administrateur rend cette interrogation on ne peut plus légitime :

Darrieus (Pierre-Joseph-Gabriel-Georges) (1859-1931) Né à Toulouse (Haute-Garonne), le 21 février 1859.

Entré à l’École navale en octobre 1876, enseigne de vaisseau en octobre 1881, lieutenant de vaisseau en octobre 1885, il fut affecté à la défense sous-marine à Toulon et à l’École des torpilles où il se passionna pour les matériels nouveaux tout en commençant à mettre au point ses premières
inventions (dynamo pour torpilleur, torpille électrique).

Après avoir commandé un petit torpilleur, à Toulon, il reçut en 1889 le commandement du Gymnote, premier sous-marin conçu par Dupuy
de Lôme et Gustave Zédé. Avec cet engin de 30 tonnes monté par cinq hommes, Darrieus réussit, malgré l’indifférence et le mépris des états-majors et des bureaux, à mettre en évidence les possibilités immenses qu’offrait cette arme nouvelle. Il perfectionna la vision, l’équilibre en plongée, la propulsion par accumulateurs et définit les premières règles d’emploi des sous-marins, faisant preuve de brillantes qualités d’ingénieur et de marin. Grâce à lui, le Gymnote plongea deux mille fois et la navigation sous-marine accomplit des progrès décisifs. Affecté à l’Etat-Major général en 1895, il collabora à la mise au point du sous-marin Gustave-Zédé et entretint des polémiques mémorables avec le génie maritime. Capitaine de frégate en décembre 1898, chef du cabinet militaire du ministre Lockroy, il s’efforça de réformer et de rajeunir l’édifice quelque peu vétuste de l’administration
maritime, modernisa les écoles de spécialités, poussa l’étude des armes nouvelles et développa la formation des officiers. Il commanda en 1899
le Du Chayla en Méditerranée, puis en 1901 l’Algesiras, École des torpilleurs. Capitaine de vaisseau en mars 1906, professeur de stratégie et de tactique à l’École supérieure de marine, son enseignement marqua puissamment ses élèves. Il commanda ensuite la Couronne et l’École de canonnage en 1907, puis le cuirassé République en 1909. Contre-amiral en janvier 1912, chef du
cabinet militaire du ministre, il commanda en 1913 la division des écoles de Méditerranée et en 1914 la 3-ème escadre avec laquelle il assura en 1915 le blocus des côtes de Syrie. En septembre, il évacua sur Alexandrie plus de 3 000 Arméniens réfugiés sur le Djebel Moussa pour échapper aux Turcs que les canons de l’escadre tenaient en respect pendant cette opération. Major général à Toulon en décembre 1915, vice-amiral en mars 1916, il commanda la 2-ème escadre en Méditerranée.
Commandant supérieur interallié en mai 1918, il assura le blocus des Dardanelles. Préfet maritime de Bizerte en août 1918, il s’efforça vainement
de développer l’industrialisation de la Tunisie et quitta le service actif en février 1921. Membre très actif de l’Académie de marine reconstituée par Georges Leygues, administrateur, stratège, inventeur à l’esprit prodigieusement ouvert aux nouveautés, il fourmillait d’idées qui ne furent souvent réalisés que bien plus tard, par exemple les services féminins de la flotte qu’il préconisa dès 1915. Écrivain de talent, il est l’auteur de la guerre sur mer et de nombreux articles. Il mourut à Toulon le 21 septembre 1931.
(Extrait du Dictionnaire des marins français d’Etienne Taillemite)

S’agissant du débarquement des réfugiés, un télégramme du 2 janvier 1921 du Ministre des Affaires Etrangères (SHD Toulon 1 BB 3, 4, 6, 17, 18) définissant les modalités sera reçu par le Ministre de la Marine le 3 janvier 1921.

En voici les termes :

Je réponds aux différentes questions que vous avez bien voulu me poser par votre télégramme du 27 décembre relatif à la situation des Russes évacués de Crimée.

  1. « Si les conditions matérielles ne permettent pas de prolonger le séjour à bord des femmes et des enfants, des dispositions peuvent être prises par le Vice-Amiral Préfet maritime pour les loger provisoirement dans des casernements. Ces mesures devraient toutefois avoir reçu l’agrément préalable du Résident Général de France à Tunis.
  2. Des autorisations de départ pour la France pourraient être accordées en petit nombre, en faveur de Russes disposant de ressources ou demandées par des parents habitant la France.
  3. Le débarquement sur le sol africain, à leurs risques et périls, de ceux qui présenteraient la demande pourrait être autorisé, mais seulement dans les limites et conditions que fixerait le Résident Général.
  4. Les personnes faisant partie des équipages (officiers, gradés et matelots) qui ne demanderont pas à retourner en Russie, doivent continuer à vivre à bord dans les conditions prévues par ma lettre en date du 22 décembre 1920 N° 840. »

L’amiral ayant autorisé et mis en place le débarquement rapidement, à partir du 6 janvier, l’attente était principalement due à la capacité de désinfection des services médicaux, un véritable goulot d’étranglement, qui était de 50 personnes tous les deux jours.

Pour les russes, nul doute que le mot « sanitaire » entre guillemets du ministre englobait le « virus bolchéviste » qui était la raison principale de ces mesures sévères, un comble pour cette population qui  avait combattu le bolchevisme, le haïssait et le fuyait.

Les procédures de ravitaillement en vivres et en eau, le service des malades évacués vers l’hôpital de Sidi Abdalla, du courrier, des visites sanitaires journalières à quelques exceptions près comme nous le verrons plus tard, furent plutôt efficaces. L’évaluation de la situation « sanitaire » sera par contre un fiasco aussi bien pour les maladies, que pour le virus bolcheviste et la liste des réfugiés décédés du typhus puis de la peste après deux « désinfections », s’allongera un peu plus chaque semaine.

La situation « sanitaire » telle que constatée par les Russes à l’arrivée de l’ « Escadre russe » était la suivante : il y avait un cas de typhus avéré sur le brise-glace Illia Mouromets et un autre sur le Guénéral Alexeev mais pas de cas de contaminés de cette maladie honteuse pour les officiers de la Marine blanche qu’était le bolchevisme.

 A ce stade, pour les Russes, un confinement de l’Escadre n’était pas justifié.

L’amiral Berens écrivit dans son rapport[3] : « Il semble que ce confinement aussi long n’est pas dû à la situation sanitaire sur les navires mais à une totale absence d’instructions de Paris données aux autorités locales, qui, d’un côté, n’ayant pas d’instructions, ont peur de faire quoi que ce soit puisque les instructions risquent d’être contraires et d’un autre côté, les autorités ne semble pas comprendre à qui ils ont affaire (ce que l’on ne peut pas dire de l’amiral De Bon à Constantinople qui à vu notre flotte, chez nous, en Crimée). »

Il faut rappeler que la Marine Française avait connu de nombreuses mutineries sur le Provence, le Vergniaud, le Diderot et sur d’autres navires mais l’absence de discernement, pour les Russes, était affligeante et inexcusable.

Les rapports entre le virus bolchéviste, l’amiral De Bon et les autres officiers français étaient bien particuliers en raison des nombreuses mutineries qui avaient eu lieu dans la marine française en 1919, dont celle de Marty dont l’objectif n’était rien de moins que de transmettre des navires de guerre français aux Soviétiques. Par ailleurs, lorsque l’amiral pris son commandement sur le Provence en qualité de chef de la Première Armée navale fin mai 1919, il se trouva dans l’obligation de transférer son pavillon sur le Waldeck Rousseau, l’équipage du Provence refusant d’appareiller.

Les français avaient également subi un traumatisme profond, il s’agissait de la pandémie de la grippe espagnole dont les informations avaient été censurées afin de ne pas révéler un état de faiblesse que l’ennemi aurait pu exploiter et qui emporta des centaines de milliers de vie et les officiers français étaient particulièrement sensibles à la situation sanitaire.

Le capitaine de vaisseau Bergasse du Petit-Thouars, un officier qui avait fait honneur à la France tout au long du transfert de Constantinople à Bizerte par son comportement amical et d’une grande élégance, fit un dernier cadeau d’adieu avant son départ pour Toulon. Il protesta contre ces mesures dans son rapport à l’amiral de Bon [4] : « Les russes ont été douloureusement surpris, en arrivant a Bizerte par la rigueur des mesures de précaution prises contre eux, soit au point de vue sanitaire soit au point de vue police », il ajouta, « il est possible d’adoucir les consignes ».

L’amiral de Bon l’appuya dans une note au Ministre de la Marine. Il écrivit dans sa note du 17 janvier 1921[5] : « Ainsi que vous le verrez dans le rapport du commandant du Quinet, les Russes ont été douloureusement surpris en arrivant à Bizerte, par la rigueur des mesures de protection prises contre eux soit au point de vue sanitaire soit au point de vue police. Cette impression m’a été confirmé par les commandants des brise-glace de retour de Bizerte qui n’ont pas caché que leur équipage était peu désireux d’entreprendre une nouvelle traversée, sans aucune rémunération et pour être soumis à un régime très dur en arrivant à Bizerte, c’est pourquoi je me suis permis de vous adresser mon télégramme 165.

Des mesures de précautions sanitaires sont évidemment indispensables mais après l’expérience des trois derniers hivers à Constantinople on peut affirmer qu’il est possible d’adoucir les consignes édictées en annexe numéro VII bis[6] du rapport du commandant du Quinet. »

Il ajouta :

« J’ajoute qu’en toute circonstances officiers et marins de la Marine russe ont été parfaitement et facilement obéissants aux ordres et aux instructions qu’ils ont reçus. »

Dans la « Dernière escale », dans ses souvenirs d’enfance, puisqu’à l’époque des faits Anastasia Alexandrovna Manstein/Chirinskaya [7] n’avait que 8 ans, elle nous parle de cette longue attente à bord des navires dans la baie de Karouba, de ce traumatisme profond causé par les séances de désinfection et ce long couloir, où l’on marchait nus sous les regards curieux du personnel masculin de l’hôpital. Dans d’autres témoignages, on évoque le regard goguenard de la soldatesque française composée bien souvent de tirailleurs sénégalais ou d’autres troupes coloniales.

« Nous aurions apporté la peste, nous aurions été vos ennemis ou vos prisonniers, nous n’aurions pas été accueillis autrement » cette phrase de l’amiral Kedroff[8] reprise par Anastasia Alexandrovna Chirinskaya dans « La dernière escale », exprimait le sentiment des officiers russes vis-à-vis des autorités françaises. Comme nous le verrons par la suite, ce sentiment sera bien plus nuancé et s’agissant de la peste, il faut le souligner, les Russes l’avaient effectivement bien apportée à Bizerte.

Le 29 juin 1921 un membre de l’équipage du Cronstadt tomba malade et un diagnostic terrifiant fut posé : il s’agissait de la peste. Quatre personnes tombèrent malades le 2 juillet puis quatre autres. On dénombra par la suite 21 malades dont 9 décédèrent. Le Kronstadt ainsi que le remorqueur le Golland et le petit aviso Kitoboï qui étaient amarrés à couple ainsi que l’ex-cuirassé le Gueorguiï Pobedonossets sur lequel du personnel avait été transféré à partir de ces trois navires, furent mis en quarantaine.

Non seulement les Russes avaient apporté la peste mais ils apportèrent également le typhus, le choléra et bien d’autres maladies. Sans doute la seule maladie qu’ils n’avaient pas apportée était le virus bolcheviste.

Il semble toutefois que si côté russe on pouvait juger les mesures sanitaires excessives puisqu’elles doublaient la désinfection qui avait eu lieu à Constantinople,  il y avait bien lieu d’être attentif puisque cette première désinfection n’avait pas été des plus efficaces de l’avis même des Russes.  La deuxième, à Bizerte, fut traumatisante, surtout pour les femmes, et tout aussi inefficace.

S’agissant du virus bolcheviste, les Français s’étaient complètement fourvoyés. A la lecture des rapports du service de renseignement extérieur soviétique GPU,[9] récemment déclassifiés, on peut constater que les renseignements soviétiques se montrèrent parfaitement inefficaces et les renseignements recueillis, le plus souvent, étaient bien fantaisistes et, par conséquent, aucun informateur sympathisant n’avait été trouvé :

Pour le contre-torpilleur Capitaine Saken qui n’avait pas de moteur, ce dernier ayant été laissé dans des ateliers à Sébastopol, on indique une vitesse de 12 nœuds.

Un communiqué mentionne « Les Français à terre mirent en place une discipline militaire. Dans les camps, gardés par des nègres[10] français commença le « cassage de gueule ». Les Français « cassaient la gueule » aussi ; mettaient aux arrêts jusqu’à un mois, après quoi ils proposaient d’intégrer le contre-espionnage ou la légion étrangère ».

…. « L’atmosphère était particulièrement lourde. La volonté de s’inscrire pour un retour à la Patrie était liée à la possibilité d’être accusé de bolchévisme, ce qui pouvait conduire à être placé dans un camp de concentration sous la garde des nègres ».

Un tableau du service de renseignement extérieur soviétique GPU avec des informations concernant les « Navires de Wrangel » de 1921 mentionne :

Navires Wrangel (document des renseignements extérieurs soviétiques extrait de L’Escadre Russe. L’adieu à la flotte Impériale source : RGAVMF F. R-397 Op. 1 D. 333 page 13)

Le contre-torpilleur Jarki comme le Jivoï, figure comme « perdu corps et biens ». Ceci était exact pour le Jivoï mais pas pour le Jarki.

Les canons du Guénéral Korniloff figurent avec un calibre de 152 mm et alors qu’en réalité il s’agissait de canons modernes de 130 mm.

Des navires étaient mentionnés dans la liste alors qu’ils étaient restés à Constantinople ou étaient abandonnés en mer et qu’il ne faisaient plus partie de l’Escadre comme la canonnière Kavkaz.

Les rapports n’avaient rien à voir avec la réalité et les tentatives de propagande et d’action menés par les bolchevistes n’aboutirent pas. D’après l’état-major de l’Escadre russe, l’agent de Tunisie fut rappelé en raison de son inactivité ou de l’absence de résultats[11].

La communication entre les navires fut vite autorisée sauf pour le brise-glace Illia Mouromets qui avait un cas de typhus à bord et le remorqueur Golland dont l’équipage avait été en contact avec celui du brise-glace.

Il faut également préciser que cette longue quarantaine d’environ 2 mois ou plus, comme décrite de façon inexacte dans la plupart des ouvrages qui traitent de ce sujet, ne s’est jamais étendue à tout le personnel de l’escadre ni à tous les réfugiés puisque bon nombre de réfugiés furent débarqués dès début janvier comme nous le verrons plus loin et que l’autorisation de se rendre à terre avait été donnée à partir du 28 janvier pour les équipages des navires désinfectés.  Il est vrai que la désinfection des équipages s’étala dans le temps puisque l’on désinfectait les équipages en même temps que les navires. Agir différemment n’aurait eu aucun sens puisque l’équipage vivait à bord. Par ailleurs, la désinfection d’un navire n’est pas une opération des plus rapides ni des plus simples et de plus, l’entretien des navires de guerre français passait bien évidemment avant celui de l’Escadre russe. Le cas de la famille Manstein, le plus connu, dont le chef de famille commandait le Jarki, l’un des derniers navires à avoir été désinfecté le 26 février, n’était pas représentatif.

LE VIRUS BOLCHEVISTE. L’ERREUR FRANCAISE.

Les autorités maritimes françaises avaient à l’esprit les mutineries de la flotte Française. Elles faisaient, semble t-il, confiance aux officiers russes, mais pas aux grades subalternes de la marine, officiers mariniers et matelots. Les matelots russes avaient une réputation de révolutionnaires et il y en a eu indiscutablement. Ils étaient d’autant plus visibles que les Bolchéviques recrutaient les hommes de main parmi les marins et l’assassinat de l’amiral Népénine, [12] du commandant en chef de l’armée russe le général Doukhonine et d’autres, leur étaient imputables. Il faut souligner que les navires de taille importante comme les cuirassés de la Flotte de la mer Baltique étaient statiques pendant la première guerre mondiale, bien plus que les unités de l’Armée de terre qui ne restaient jamais bien longtemps à Petrograd, et les marins, étaient en contacts fréquents avec les chantiers navals et usines ou des activistes bolchéviques les recrutaient. Il faut également préciser que les matelots révolutionnaires n’étaient pas tous Bolchéviques, bon nombre et vraisemblablement les plus nombreux étant socialistes-révolutionnaires et par conséquent opposés aux Bolchéviques. Il faut rappeler qu’à partir de 1918, les Socialistes-révolutionnaires et les Bolcheviques menèrent une guerre sans merci y compris dans les rangs des forces blanches.

Il faut également rappeler que le contre-espionnage en Crimée sous la direction du général Klimovitch et la Section spéciale de la marine furent particulièrement efficaces et qu’une sélection rigoureuse avait été effectuée parmi les grades subalternes de la Flotte blanche de la mer Noire .[13]

Lors de l’évacuation de Crimée, beaucoup de matelots avaient refusé de partir et il a fallu trouver des personnes pour les remplacer et la plupart des remplaçants n’étaient pas des gradés subalternes de la marine. Parmi les matelots restés à bord, bon nombre d’entre-eux avaient quitté les navires à Constantinople et il a fallu les remplacer à nouveau. Il y avait donc peu de matelots à bord des navires de l’Escadre russe à l’arrivée à Bizerte. Les volontaires pour les remplacer étaient des enseignants, des officiers de l’armée de terre, des étudiants qui avaient pris les armes contre les Bolchéviques. Cela est confirmé par l’amiral Berens qui précise dans ses rapports : « 3836 matelots (des officiers, professeurs, étudiants…) »

Un exemple intéressant est celui du plus grand navire de l’Escadre, le Kronstadt. Lors de la préparation de l’évacuation, le capitaine de vaisseau Mordvinoff, membre de la société Scout de Sébastopol, commandant du navire-atelier Kronstadt, fit appel aux scouts marins pour remplacer l’équipage ou une partie de l’équipage. Ces scouts marins se préparaient dès décembre 1919 à remplacer les équipages en cas de trahison de ces derniers.[14]

Dans des listes[15] de réfugiés, celle du camp de Nador au 1.7.1921 : sur 150 hommes, on compte 9 matelots, 1 soldat, 4 cosaques, 7 médecins ou assimilés, la presque totalité des autres étant des officiers de toutes armes. Au camp de Saint-Jean, le tableau est le même : 1 matelot sur  28 hommes. A Monastir : 3 matelots sur 28 hommes….

Contrairement aux consignes du Ministre de la Marine français il n’y avait donc pas « 4 000 marins non officiers », il y avait bien 4000 personnes n’ayant, pour la plupart, aucune expérience de la marine mais le plus souvent il s’agissaient d’officiers d’autres armes, d’étudiants, de professeurs qui n’avaient rien de révolutionnaires bolchévistes.

CONDITIONS DE VIE A L’ARRIVÉE

Les Russes notèrent dans les rapports que les Français étaient « attentionnés et prévenants »[16] et que l’approvisionnement en nourriture et en consommables pour les navires était effectué de façon satisfaisante par le cuirassé France.

Il s’agissait toutefois de rations « marines » et les rations délivrées par la suite par l’armée de terre aux « refugiés assistés » des camps seront bien plus réduites et certainement insuffisantes :

Les rations journalières « marines » furent les suivantes[17] :

Pain : 600 g

Viande : 320 g

Légumes : 100 g

Pomme de terre : 400 g

Thé : 2 g

Sucre : 20 g

Graisse : 6 g

Sel : 16 g

Tabac…

Savon…

Les femmes et les enfants reçurent en supplément des œufs, du lait et du sucre.

Les Français promirent de donner des vêtements mais ces derniers tardèrent à venir. L’état-major russe disposait à bord des navires de cargaisons de tissus aux couleurs des uniformes et on les distribua tout en précisant que la descente à terre des militaires ne sera autorisée qu’en uniforme. Du tissu et du fil à coudre furent également distribués.

De nombreux Russes espéraient, sans doute naïvement, loger en ville et furent surpris d’apprendre que la ville de Bizerte n’offrait aucune possibilité de logement et que les seules possibilités de logement étaient des camps militaires.

A bord des navires régnait un climat de nervosité dû à la quarantaine, à l’incertitude devant le futur et au manque d’espace.

Les Français n’interféraient pas directement dans le fonctionnement de l’escadre et toutes les dispositions prises étaient communiquées à la hiérarchie russe.

Les navires de l’escadre continuaient à arborer le drapeau de saint-André ainsi que le drapeau français.

La surveillance de l’escadre par la marine française fut levée le 22 février et l’approvisionnement en nourriture et en consommables transféré à terre.

Si l’accueil par les autorités françaises n’était pas perçu comme un accueil « particulièrement chaleureux » celui d’une certaine catégorie de la population local fut bien pire. Un haut fonctionnaire français du Protectorat de Tunisie[16] écrivit dans la Tunisie après guerre : « La presse de Tunisie ne se montra pas très tendre pour ces réfugiés. Les Israélites se souvinrent que Wrangel avait réputation d’antisémite. Les socialistes virent en eux des briseurs de grève. Les organisations ouvrières vitupérèrent sans charité aucune contre ces concurrents éventuels »

L’ESCADRE S’INSTALLE.

Le 31 décembre, le vice-amiral Kedroff se rendit à Toulon à bord de l’Edgar Quinet puis à Paris pour régler les questions liées au statut des navires et à l’installation des familles et ne reviendra à Bizerte que pour de courtes missions.

Le vice-amiral KEDROFF faisant ses adieux à l’équipage de Guénéral Korniloff. A droite : le contre-amiral Berens, le capitaine de vaisseau Potapieff, sous l’affût du canon de 130 sa modeste valise. Collection Giraudy. Transmis par Marc Saibène (Il est toutefois possible que cette photo corresponde à sa seconde venue en juin 1921)

Son chef d’état-major, le contre-amiral Machoukoff le suivra également le 7 février et quittera la Marine russe tout en restant extrêmement actif. Tous deux, avec l’aide de l’ex-attaché naval, le capitaine de vaisseau Dmitrieff qui se trouvait à Paris, mettront tout en œuvre, pour négocier auprès des autorités françaises, adoucir le sort des réfugiés, faciliter les études des jeunes et ceci aussi bien pour les questions importantes que pour les questions de détail. On avait l’impression qu’une bonne fée passait après chaque négociation difficile qui se déroulait avec le Préfet maritime à Bizerte et des instructions furent transmises par le Ministère de la Marine pour améliorer les résultats des négociations le plus souvent au bénéfice de l’Escadre Russe.  Les Préfets, à plusieurs reprises, furent gênés par cette situation.

Le capitaine de vaisseau Dmitrieff raclera les fonds de tiroirs et transmettra tout l’argent qu’il pourra. Il fait expédier dès le 20 janvier des vêtements, chaussures, objets divers et des vivres pour les femmes et les enfants qu’une commission dirigée par l’amiral Nikolia distribuera. 

La lieutenant de vaisseau Machoukoff en 1917

Avant son départ, l’amiral Machoukoff, un officier qui dirigea des opérations particulièrement audacieuses comme celle d’aller chercher 3 000 militaires russes internés en Roumanie tout simplement en remontant le Danube avec plusieurs navires sans aucune autorisation des autorités roumaines, ex-directeur de l’École navale de Sébastopol, chercha avec l’accord et l’aide de l’amiral Darrieus, des locaux pour organiser une École navale russe à Bizerte. Son choix s’arrêta sur le fort de Djebel Kébir. A proximité du fort se situait le petit village de Sfayat dans lequel s’établirent le personnel enseignant et les familles de ces derniers.

Le contre-amiral Berens fut nommé Commandant de l’Escadre par intérim[19]  et l’amiral Tikhmenev,  remplaça le chef d’état major, l’amiral Machoukoff, après son départ. Le commandant de l’École Navale sera le vice-amiral Guérassimoff, son adjoint, le capitaine de vaisseau Kititsine. L’officier de pavillon pour la partie opérationnelle de l’escadre sera le capitaine de frégate Oulianine.

Assis de gauche à droite le chef d’état-major de l’escadre le contre-amiral Tikhmeneff, l’ex-attaché naval, le capitaine de vaisseau Dmitrieff, le commandant de l’escadre par intérim, le contre-amiral Berens, le commandant de l’escadre le vice-amiral Kedroff, le commandant du Guénéral Korniloff, le capitaine de vaisseau Potapieff. Derrière Dmitrieff, le médecin Bologovsky, derrière Kedroff le père Guéorguiï Spassky.

Le nombre total de personnes incluant le deuxième groupe de navires qui n’arriva que plus tard ainsi que ceux du Tsessarévitch Guéorguiï qui arriva avec 449 blessés ou malades et le personnel médical russe et de leurs famille de 90 personnes qui les accompagnait était de 5849 personnes[20] dont :

  • 648 officiers
  • 233 gardes-marine
  • 137 cadets
  • 117 sous-officiers
  • 3836 matelots (des officiers, professeurs, étudiants…)
  • 13 représentants du clergé
  • 626 femmes
  • 239 enfants

Il y aura un éternel cafouillage autour du nombre de personnes. Le capitaine de vaisseau Goutane ainsi qu’Anastasia Alexandrovna Chirinskaya, dans leurs écrits, indiqueront d’autres chiffres. Il est vraisemblable que le nombre de 5849, contrairement à ce qui est indiqué, n’incluait pas les malades et le personnel médical du Tsessarévitch Guéorguiï considérés comme ne faisant pas partie de l’escadre. D’autres réfugiés et des équipages arriveront par la suite comme ceux du Don et il sera difficile d’estimer le nombre exact de personnes arrivées dans le cadre de l’Escadre.

LES PREMIÈRES DISPOSITIONS.

L’état-major de l’escadre s’organisa et s’attaqua dès l’arrivée aux priorités. La toute première était de réduire les frais d’entretien de l’escadre. Les Français l’exigeaient et par ailleurs, les Russes savaient bien que la facture sera réglée par le produit de la vente des navires. La seconde était de remettre les navires en état pour être prêts pour une expédition, cette expédition militaire du printemps tant espérée pour renverser les Bolchéviques. On prit également les mesures pour transférer à Bizerte les navires de l’Escadre et les équipages restés à Constantinople.

Une autre priorité était d’améliorer les conditions de vie des réfugiés qui vivaient à bord des navires dans la promiscuité et l’inconfort. Cette présence toutefois, grevait le budget et ne permet pas la remise en état des navires. 

Il a donc été décidé de conserver le minimum de personnel à bord des navires, ces derniers conservant le statut de personnel de l’escadre et de constituer trois listes de personnes qui prendront par la suite le statut de réfugiés :

  • personnes souhaitant (ou qu’il fallait) débarquer
  • personnes souhaitant retourner en Russie Soviétique
  • personnes souhaitant retourner à Constantinople comme envisagé par les états-majors russes et français au préalable, au départ de Constantinople

Dès le 6 janvier 1921, 1050 personnes de la première liste furent envoyées dans les camps par groupes de 50 tous les deux jours en raison de la capacité des services de désinfection. Ils prenaient le statut de réfugiés assistés.

Parmi les réfugiés de cette catégorie, ceux qui pouvaient prouver aux autorités civiles posséder 1000 F par membre de famille, pouvaient s’établir à leur frais. Ce contrôle précise t-on dans les rapports, était une formalité et n’était pas strict.

S’agissant de la seconde liste, personne ne s’était porté volontaire pour un retour en Russie Soviétique.

S’agissant de la dernière catégorie, l’amiral Berens écrira : « L’indécision concernant la situation de l’escadre, l’absence de communication avec la terre, le régime militaire du service maintenu sur les navires de l’Escadre  d’une part, et d’autre part la présence d’équipages improvisés, non adaptés et n’ayant pas d’aptitude à servir dans la marine, sont les raisons de la décision du commandant de l’Escadre d’envoyer les volontaires présentés par les commandants des navires à Constantinople avec le statut de réfugié. »

1100 personnes se portèrent volontaires pour retourner à Constantinople. La plupart d’entre elles avaient une formation technique et estimaient les perspectives de travail plus prometteuses à Constantinople qu’à Bizerte. Il avait été décidé de les renvoyer sur le paquebot Velikiï Kniaz Constantine et de mettre cette catégorie de réfugiés à la disposition du Comité des Réfugiés russes de Constantinople. Des instructions concernant le retour à Constantinople furent demandées par le Préfet maritime Darrieus à Paris. Pour l’état-major russe, il était urgent de faire partir ce groupe en attente de départ et de ce fait, démotivé. Ce groupe fut transféré sur le Velikiï Kniaz Constantine à partir du 7 janvier. Le 10 Janvier un télégramme de l’amiral de Bon fut reçu par le préfet maritime l’informant qu’il n’était pas possible de loger les 1044 refugiés du Velikiï Kniaz Constantine à Constantinople mais que toutes les mesures seraient prises pour satisfaire ce souhait. Ce projet restera toutefois sans suite et le groupe rejoindra les autres réfugiés de Bizerte à partir du 25 janvier et sera envoyé dans les camps de Romadié ou Nador après désinfection.

Les 449 blessés et malades arrivés sur le Tsessarevitch Guéorguii le 5 janvier avec 90 médecins, infirmiers, infirmières russes et leurs familles qui ne faisait pas partie de l’Escadre, furent placés à l’hôpital de Sidi Abdallah qui était de l’avis des hospitalisés et de l’amiral Berens, exemplaire. Les rapports mentionnaient « on a été reçu comme si on était des proches ». L’amiral Berens le visitera et écrira « la propreté et l’ordre sont exemplaires ». De nombreux blessés intégreront l’escadre dès leur guérison. Il était prévu initialement que le personnel médical qui accompagnait les blessés du Tséssarevitch Gueorguiï retournerait à Constantinople après la mission. Dans le télégramme du 10 janvier de l’amiral de Bon il était également mentionné qu’il n’ y avait pas de possibilité de loger ce groupe également mais le Ministère de la Marine Française demanda au Préfet maritime d’étudier la possibilité de transférer ce groupe à Cataro, en Serbie, puis ce projet resta sans suite et ce groupe fut affecté à un lazaret improvisé dans les cuisines du fort de Roumi. Les maladies graves furent toutefois soignées dans l’hôpital français et pas au lazaret. Les médicaments et le matériel utilisés par le lazaret furent ceux apportés de Russie.

Le 6 janvier, l’état-major de l’escadre fut informé par note N° 559 que suite à l’accord entre le Ministre résident en Tunisie, le général commandant la division d’occupation et le préfet maritime, les réfugiés russes seront répartis dans les camps suivants :

Ain draham : 300 personnes

Tabarka : 150 personnes

Monastir : 100 personnes

Sfayat : 200 personnes

«  le meilleur camp d’après les autorités française étant le camp d’Ain Draham du point de vue des locaux et des autres conditions de vie et le commandement français recommandait d’envoyer dans ce camps, les familles des amiraux et des officiers supérieur de l’Escadre. Suite à la demande de l’état-major de l’escadre d’envoyer ses représentants pour inspecter les camps, le commandement français répondit qu’en raison de la difficulté d’accéder à ces camps, il est difficile de le faire actuellement. »[21] Les autorités françaises déclarèrent que les familles devaient être impérativement accompagnées par le chef de famille.

Comme nous le verrons par la suite Ain draham fut véritablement épouvantable, par contre, Tabarka, merveilleux.

L’escadre s’organisa pour le confort des équipages, les petits navires furent amarrés à couple aux bâtiments les plus importants ce qui permit de libérer des navires envahis par les dames.

Le Mitchman N.  Andreev nota  : [22]« Il y eut malheureusement une nouvelle calamité : « on trouva » (à l’état-major) « le Yakout commode pour loger les familles des officiers de l’état-major, du Général Korniloff et d’autres navires… et quelques jours après l’arrivée à Bizerte, au tout début janvier, on s’amarra à couple auprès du Général Korniloff et près de 70 dames et leurs enfants  furent placés à bord. »…. « En réalité, pratiquement tout notre navire, était à la disposition des dames et même nous, officiers de ce navire, avions un temps limité par l’état-major, pour utiliser le carré, une heure pour le repas et une heure pour le dîner et en dehors de ce temps nous n’avions pas le droit de nous trouver au carré. »….

Les élèves de l’École navale et le personnel enseignant, environ 500 personnes, furent débarqués à partir du 17 janvier et cantonnés dans le fort de Djebel Kébir, situé à quelques kilomètres au sud de Bizerte. La plupart des enseignants et leur famille furent logés dans les baraquements du petit camp militaire de Sfayat situé à environ 1 km du fort, en contrebas. Le navire école Svoboda rebaptisé un peu plus tard le Moriak ainsi que le Yakout furent affectés à l’École navale pour la navigation et les travaux pratiques.  Le fort était bien trop étroit pour loger tous ces élèves-officiers mais une section vivait en permanence sur le navire-école Moriak et libérait de la place et puis les salles de cours étaient bien souvent improvisées dans les dortoirs.

En janvier environ 1000 personnes furent débarquées et fin janvier, environ 2000 personnes étaient en attente de désinfection et de débarquement.

Il s’agissait là de deux mondes qui se s’étaient rencontrés, deux mondes qui n’étaient pas fait pour s’entendre, un monde des vainqueurs et un monde des vaincus. Ces deux mondes se sont pourtant bien entendus malgré les incompréhensions, les erreurs et un premier contact qui n’était pas des meilleurs.

L’amiral Guérassimoff, directeur de l’École navale russe et le Préfet maritime, l’amiral Exelmans à Bizerte (Collection A. V. Plotto)

[1] Rapport : Le stationnement de l’escadre en quarantaine et le transfert des familles des gradés dans les camps.

[2] Rapport N° 107 du 7 janvier 1921 de l’amiral Behrens.

[3] rapport N° 107 du 7 janvier 1921 de l’amiral Behrens.

[4] SHD Vincennes. Lettre du 17 janvier 1921 N° 67 EMOR-3 1BB4.

[5] SHD Vincennes 1 BB 4.

[6] Il s’agit de la note du service de santé. Il s’agit peut-être d’une erreur la fameuse note de l’amiral Darrieus étant en VII.

[7] Née le 23 août 1912.

[8] Commandant de l’Escadre russe.

[9]  Communiqué de la section étrangère du GPU concernant la situation des navires russes et des équipages de la flotte de guerre russe à Bizerte et des rapports cruels que les autorités françaises locales entretiennent avec eux. N° 2439 du résident de Berlin du 12 mai 1922. « Niveau d’exactitude : vérifiés ». Rousskaya Voennaya Emigratsiya, Années 20 – 40, Tome 1. Page 282 (Archives FSB et SVR)

[10] C’est ainsi dans le texte, il faut bien entendu comprendre « des africains ».

[11] Rapport de Berens à Wrangel

[12] Commandant la flotte de la mer Baltique

[13] Nicolas Ross, La Crimée Blanche du général Wrangel , Edition des Syrtes, page 144

[14] Y. Koudriachoff. Organisations des scouts russes. Ed. 2005 Arkhanguelsk

[15] Archives d’état de la fédération de Russie. Р-5903. Оп. 2. Д. 177. Л. 92–96 об. )

[16] Rapport de Berens à Wrangel N° 107 du 7 janvier 1921

[17] Ibid

[18] Monchicourt, sous le pseudonyme de Rodd Balek

[19] CDEPI dans le texte par la suite

[20] Rapport : Le stationnement de l’escadre en quarantaine et le transfert des famille des gradés dans les camps.

[21] Ibid

[22] A bord du Yakout à Bizerte. Journal du Cercle l’Ecole Navale de Vladivostok N° 1. Edité à l’Ecole Navale Russe de Bizerte. Fort de Djebel Kébir. 1922.

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