BIZERTE. LA COLONIE RUSSE. CHRONIQUE 1921.

BIZERTE. LA COLONIE RUSSE. CHRONIQUE 1921.

LA COLONIE RUSSE DE BIZERTE (Chronique 1921, suite, 2ème semestre)

LES EFFECTIFS

Au 15 juillet 1921, on comptait[1] dans les effectifs de l’Escadre russe 1268 personnes dont 66 femmes et 36 enfants.

On dénombrait dans l’Ecole navale 407 personnes dont 331 élèves.

Dans les camps, on comptait 661 personnes :  130 à Djebel Djeloud, 71 à Saint Jean, 320 à Nador, 40 à Roumi.

54 personnes étaient encore à l’hôpital de Sidi Abdallah.

13 vivaient à leurs frais à Bizerte.

Dans les camps, parmi les effectifs évoqués ci-dessus, il y avaient 267 femmes et 124 enfants.

A cette date 3302 réfugiés avaient trouvé du travail et quitté l’escadre ou les camps.

Au 1er décembre 1921, on dénombrait dans  l’escadre 880  personnes dont 178 officiers, 15 gardes-marine,  80 cadets,  496 hommes d’équipage, 75 femmes, 36 enfants.

Dans l’Ecole navale, on comptait à cette date,  411 personnes dont 57 officiers, 164 gardes-marine, 74 cadets, 65 hommes d’équipage, 35 femmes, 16 enfants.

Dans les camps et l’hôpital de Sidi Abdallah on comptait  901 personnes dont 259 officiers,  382 hommes d’équipage, 169 femmes, 91 enfants.

Le camp le plus peuplé à cette date était Nador avec 625 personnes puis Djebel Djelloud avec 105 personnes.

Environ 3657 personnes, soit plus de la moitié des effectifs, avaient quittés l’Escadre russe et les camps fin 1921 pour travailler principalement en Tunisie, Maroc, France et les pays des Balkans.

LES ETUDIANTS

De nombreux étudiants russes avaient pris les armes pour combattre le bolchévisme et se trouvaient à Bizerte. Il s’agissait le plus souvent de « matelots » volontaires qui avaient servi dans la Marine blanche ou bien de volontaires devenus militaires de l’armée de terre qui s’étaient portés volontaires pour convoyer les navires à Bizerte.

Dès l’hiver 1921, les étudiants qui  se préparaient à continuer leurs études en Europe et qui avaient pu gagner suffisamment d’argent pour le voyage étaient sur le départ.

Suite à leur demande, la Commission aux Affaires Russes s’adressa[2] le 11 septembre 1921 au Comité d’enseignement des étudiant russes de Prague et en réponse, le Président de ce comité, Monsieur Lamchakov, mit en place une procédure particulière pour Bizerte[3] avec l’autorisation des autorités tchécoslovaques, pour placer des étudiants dans des établissements d’enseignement supérieur. Cette mesure s’étendait non seulement aux étudiants qui n’avaient pas pu terminer leurs études mais également aux gardes-marine issus de l’Ecole navale.

La Commission de Prague détacha deux professeurs, Messieurs Khoudojilov et Jiliaev pour évaluer le niveau de connaissance des candidats. Ces deux professeurs connaissaient Bizerte pour y être venus en qualité de « matelots » à bord des navires. Le quota du nombre d’étudiants fut fixé à 84 mais il y eut  de très nombreux volontaires : 80 officiers de la marine et près de 450 officiers et matelots en tout.

LA VIE CULTURELLE DE LA COLONIE

Le dénuement extrême de la « Colonie russe » de Bizerte contrastait avec la vie culturelle riche en manifestations culturelles de tous genres.

Les concerts étaient fréquents. L’escadre disposait d’un orchestre militaire de 40 musiciens[4] que les Français invitaient fréquemment puisqu’il n’y avait pas d’autre orchestre à Bizerte. L’orchestre, cantonné sur le Général Korniloff, jouait deux fois par semaine, le jeudi sur le Guéorguiï Pobedonossets et le dimanche dans un square de Bizerte, sous la direction d’un musicien professionnel, le capitaine Chtchadrine.

Il y avait également plusieurs orchestres de balalaïkas qui recevaient des invitations pour se produire à Tunis et avaient toujours beaucoup de succès.

Plusieurs chanteurs ou danseurs pouvaient improviser des spectacles d’un excellent niveau. Des scènes de Faust et d’Aïda étaient jouées au théatre Garibaldi par des officiers et des dames de l’escadre.

En plus des manifestations sportives du corps des cadets, en septembre deux régates furent organisées, une course entre officiers et une entre grades subalternes. Il y avait plus de 30 voiliers participants répartis en 5 catégories. Ces courses suscitaient le plus vif intérêt auprés du personnel de l’escadre. Des courses de rameurs étaient également organisées. Des prix sous forme de numéraires étaient attribués par l’état-major de l’escadre. Des matchs de football opposaient régulièrement Français et Russes.

L’équipe de football de l’École Navale russe. Au milieu, souriant, chemisette rayée, l’avant centre Krivolaï, à droite le sous-lieutenant V. I. Vysotchine, professeur de gymnastique (Photo 1921 ou début 1922) (Collection A. V. PLotto)

A partir du 21 septembre 1921, le capitaine de frégate Oulianov fut chargé d’organiser des conférences sur le Gueorgui Pobedonossets et plusieurs se tinrent sur des thèmes historiques, maritimes, religieux ou de culture générale et l’on venait des camps les plus éloignés pour assister à ces manifestations. Le capitaine de frégate Novikoff lut une conférence sur le thème « Action du groupe d’Azov » (pendant la gerre civile), le capitaine Bokhanovskiï sur le thème du « Croiseur sous-marin de 2000 t »,  le capitaine de vaisseau Troukhatchev, sur l’histoire de France et l’histoire de la région de Tunis, le père Spasskï, conférencier de grand talent, abordait les questions de mœurs et de religion.

Des cours de français gratuits étaient organisés sur proposition du Gouverneur de la ville de Bizerte dans les locaux du  «  Foyer du soldat et du matelot ».[5] Environ 150 personnes s’étaient portées volontaires. Les qualités pédagogiques de l’enseignant français, Monsieur Lafont, étaient reconnues et appréciées de tous. Ces cours furent maintenus jusqu’à la nouvelle affectation de Monsieur Lafont qui eut lieu en avril 1922. 

Départ du professeur de français de la colonie russe, Monsieur Lafont en avril 1922 (Album Marianne Rampelberg, née Parfionoff)

De gauche à droite : 1ère assise Madame Markoff, Sophia Nikolaevna Ogloblinski, Monsieur Lafont, Madame Guérassimoff, le vice-amiral Guérassimoff. Avant dernier debout à droite de l’amiral : le médecin Markoff.

LES JOURNAUX RUSSES DE BIZERTE

En plus de la lettre d’information éditée par l’état-major dont nous avons parlé précédemment plusieurs journaux virent le jour à Bizerte et des grands talents littéraires se revélèrent dans la colonie russe.

LE MORSKOÏ SBORNIK (RECUEIL MARITIME)

Le capitaine de frégate Nestor Aleksandrovitch Monastyrev, commandant du sous-marin Outka, un marin de légende qui mena la première attaque sous-marine de Russie contre des navires allemands, prit l’initiative d’éditer un des premiers journaux de la marine russe en exil, le Morskoï Sbornik (Recueil maritime) dont le premier fut édité en juin 1921. Il s’agissait en quelque sorte de la suite du Morskoi sbornik édité en Russie avant la révolution et bien connu des milieux de la Marine. Les lieux de rédaction et d’édition étaient on ne peut plus originaux puisque le journal était rédigé et dactylographié dans le sous-marin Outka, le point le plus bas de Bizerte puis édité dans le fort de Djebel Kébir ou à Sfayat, au point le plus haut. Il y eut 26 numéros édités du 1 à 7 pour 1921, du 1 à 12 pour 1922 et 1 à 10 pour 1923 (2/3, 7/8, 9/10).

Morskoï Sbornik (Recueil maritime) N° 1

Le talent d’écrivain de  N. A. Monastyrev est reconnu à ce jour et la plupart de ses nombreux ouvrages ont été édités, traduits et réédités. Il s’agit des ouvrages suivants : Dans la Mer Noire 1912—1920 Paris1928, Vom Untergang der Zarenflotte. Berlin, 1930, Histoire de la Marine russe. Paris, 1932, Sur trois mers. Tunis, 1932, Le navire sous-marin. Paris, 1935, Groumant, Spitzberg inconnu. Paris, 1937… et d’autres, ainsi que de nombreux articles.

Plusieurs autres auteurs de talents participèrent à la rédaction de ce journal. Il s’agissait de S. K Terechtchenko qui, par la suite, prendra le pseudonyme de Dmitry Novik et sera l’auteur de nombreux ouvrages comme Sous la croix de Saint André (conjointement avec Louis Guichard), La guerre navale russo-japonaise (1932), Histoire de la marine russe (1932, conjointement avec Monastyrev), Pierre le Grand (1931), Théodore Aubert et son œuvre (1932), il fut également un des auteurs du périodique Voennaya Byl (Le passé militaire). Il s’agissait également de  M. A. Kititsyne, Von Virenne , M. V. Kopieff, et beaucoup d’autres. Les articles étaient consacrés principalement à la marine de guerre de la première guerre mondiale, aux sujets maritimes scientifiques et techniques, à la vie dans l’émigration…

JOURNAL DU CERCLE DES CADETS DE VLADIVOSTOK.

Un périodique à diffusion restreinte vit également le jour. Il s’agit de celui du Cercle du corps des cadets de Vladivostok dont les numéros de janvier 1922 et de février 1922 furent édités à Bizerte puis deux autres suivirent en mars 1922 et avril 1922 mais furent édités à Belgrad en raison des difficultés à l’éditer à Bizerte après le départ des élèves en Serbie. Il sera suivi par l’édition d’un bulletin édité au USA dans les années 1960.

Journal N° 4 du Cercle du corps des cadets de Vladivostok (N° édité à Belgrad)
JOURNAL SIGNAL

Un autre périodique peu connu, à diffusion restreinte, écrit à la main pour certains par des gardes-marine, a vu également le jour à Bizerte le 6 janvier 1922. Il s’agissait du Journal Signal, dont nous avons pu consulter le  6, 7, 8 et le N° spécial X édité à Bizerte en 1924. Il étaient artistiquement illustrés. Intervenaient dans ce journal S. N. Terechtchenko, I. Vichnevski, V Goussef, A. Pokotilloff et d’autres. Un dernier numéro sera édité à Paris (le numéro 2 en 1928).

Journal Signal N° 6 du 6 janvier 1924

Parmi les auteurs issus de Bizerte, il faut tout particulièrement citer P. A. Varnek qui acheva l’École navale avec le grade de garde-marine de vaisseau et laissera de très nombreux témoignages de la guerre civile dans le périodique russe Voennaya Byl (Le passé militaire).

LE MORAL DU PERSONNEL DE L’ESCADRE ET DES REFUGIES

Une grande nervosité caractérisait le climat psychologique de l’Escadre et des camps. Le sort de l’escadre et de ses navires était imprévisible et malgré les bons rapports qui deviendront excellents par la suite entre l’état-major de l’escadre et les autorités françaises, il n’y aura jamais un climat de confiance concernant les navires.

Les « affaires » comme celles du Cronstadt ou du Grozny par la suite, n’étaient guère rassurantes ni pour les uns ni pour les autres.

La plupart des Russes aspiraient à un retour en Russie. Le régime bolcheviste était tellement éloigné de toute logique et les acteurs de ce régime tellement caricaturaux que les Russes de Bizerte vivaient dans l’attente du moindre indice de l’effondrement imminent de ce régime haï. Le moral de la colonie russe dépendait pour beaucoup des événements en Russie.

En mars 1921, la nouvelle de l’insurrection de Cronstdat suscita espoirs et réactions.

Le 14 mars dans une lettre adressée à l’amiral Kedroff le général Chatiloff, chef d’état major du général Wrangel, indiquait que la chute du régime soviétique était imminente et demandait dans quel délai les navires pourraient être remis en état et transférés à Constantinople[6]

Dans la colonie russe, on reprocha « l’inaction » de l’amiral Berens lors de ces événements.

En été 1921, après une période de calme, l’agitation s’empara des esprits à l’annonce du putsch à Vladivostok et la formation du gouvernement Merkouloff. Un télégramme avait été recu en septembre 1921 par l’ex-attaché naval Dmitrieff du commandant de la flottille sibérienne, le contre-amiral Stark, demandant d’examiner la possibilité de diligenter l’Ecole navale, le croiseur Guénéral Korniloff, les canonnières Groznyï, Vsadnik, Gaidamak, Illia Mouromets et le transport Yakout ainsi que de l’armement léger et lourd[7]… De nombreux officiers se portèrent volontaires pour partir continuer la lutte au Lointain Orient mais à cette date, il n’était plus question d’actions militaires.

Toutes ces spéculations resteront sans suite.

Les événements en Russie soviétique, la tentative d’assassinat de Wrangel lors de l’éperonnage du Loukoul, les soulèvements de paysans comme celui de Tambov par la suite, des rumeurs de toutes sortes largement amplifiées par des groupes d’oisifs donnaient lieu aux spéculations les plus folles et les Russes négligeaient bien souvent le présent pour vivre dans l’espoir d’un retour imminent.

Le dénuement, un destin totalement différent de celui attendu, l’incapacité ou l’impossibilité pour certains militaires de prendre leur destin en mains, l’initiative prise quelquefois par des épouses, créaient quelquefois, dans les couples et les familles une redistribution des rôles. Les horreurs de la guerre civile, les traumatismes de l’évacuation, la promiscuité agissaient sur le psychisme et dans la promiscuité, les couples se faisaient et se défaisaient.  Les changements fréquents de camps, la précarité de l’emploi, les attentes de départ pour Constantinople, pour le Brésil, pour Vladivostok  qui n’auront jamais lieu contribuaient à alimenter ce climat.

On constatait dans la colonie russe des comportements suprenants. L’état-major avait identifié un groupe d’individus qui se précipitaient et acceptaient n’importe quelle proposition ou qui se portaient volontaires à toutes les propositions à la fois. Certains étaient volontaires pour partir au Brésil, à Vladivostok, à Constantinople et au Maroc et demandaient des visas pour tous ces pays. Ces projets ne voyant pas le jour, ces individus s’estimaient trahis.

Par ailleurs, les Français tentaient d’isoler Wrangel de son armée et les Russes fulminaient. Nombreux étaient ceux qui estimaient que la France était redevable à la Russie en raison des sacrifices, bien rééls, apportés lors du début de la Première guerre mondiale pour aider la France dans ses opérations militaires et attendaient que la France honore ses dettes et cela contribuait à la tension.

LA PRIORITE :  SE REARGENTER ET LA RECHERCHE D’UN EMPLOI CONVENABLE

Les offres d’emploi étaient communiquées par le Contrôle Civil, Bureau Russe français. Une commission dirigée par l’amiral Osteletsky, en contact étroit avec ce Bureau, fut créée dans le cadre de l’escadre afin de détacher le personnel de l’escadre. Cette commission prit également des contacts avec les consulats de Bizerte afin de recevoir des offres et de régler les problèmes administratifs.

Fin novembre 1921, les Russes continuaient à être sous-employés en qualité de journaliers ou en qualité d’ouvriers agricoles et très peu étaient employés dans leur  spécialité. On observait des cas où les conditions de travail étaient bien différentes de celles proposées. Certaines étaient insupportables dans les exploitations agricoles. Les salaires étaient généralement de 7 F/jour dans les exploitations agricoles mais la situation évoluait vite et des emplois furent proposés à la construction de routes, à la réparation de canalisations ou dans les mines et le salaire était de 11 F/jour et atteignait parfois 15 F. 

Par la suite des offres d’emploi transmises par les Français furent de plus en plus souvent en adéquation avec la compétence des réfugiés. Le secrétaire du résident français au Maroc, Monsieur  Campana, vint en Tunisie proposer une centaine de postes d’ingénieurs, d’hydrographes, de motoristes, de personnel de conduite de chaufferie, de chauffeurs et 113 personnes se portèrent volontaires et passèrent les entretiens avec succès. Les conditions proposées étaient intéressantes et les Français intentionnés et bienveillants.

Des propositions de travail furent également reçues de France et les volontaires furent très nombreux car les salaires proposés étaient plus élevés, le travail était d’une durée indéterminée alors que l’on avait des difficultés à trouver un travail à durée indéterminée à Bizerte. Par ailleurs la perspective de partir pour la France était séduisante, la France profitant d’une « cote » de sympathie toute particulière traditionnellement chez les Russes. Ceux qui trouvaient un emploi convenable en Tunisie ou en Afrique du nord, restaient pour la plupart mais ceux qui travaillaient dans les exploitations agricoles cherchaient un autre emploi et partaient pour la plupart.

AUTRES EVENEMENTS

LE « GUEORGUI », UN VILLAGE RUSSE

Le vieux cuirassé Guéorgui Pobedonnossets après sa traversée mouvementée de Constantinople à Bizerte fut ammaré entre le club « Sport Nautique » et la tour des pilotes du port. Il fut aménagé par les Français aux frais des Russes et pris rapidement l’aspect d’un village flottant russe malgré sont statut de navire militaire et le pavillon de Saint André qui battait au vent. Le Georges avait commencé une carrière d’hôtel flottant bien avant l’évacuation et il abritait l’état-major de la flotte, déjà à Sébastopol. Il portera à Bizerte le surnom de « babanossets » ce qui signifie porte-babas.[8] Les familles de la fine fleur de l’amirauté de la flotte blanche étaient rassemblées sur ce navire et les Tikhemenev, Osteletsky, Goutane, Potapieff, Birileff, Vilken et beaucoup d’autres, des noms bien connus dans le milieu de la marine,  envahissaient la petite église du navire les samedis et les dimanches.

Des réfugiés vivront également à bord comme des femmes et des enfants sans foyer, des  femmes et enfants d’officiers qui avaient trouvés un emploi sur le navire, des Russes âgés ou ne pouvant travailler, des personnes désignées par l’état-major.

L’ex-navire de ligne Guéorgui Pobedonossets amarré près de la tour des pilotes. A gauche, Sophia Nikolaevna Ogloblinski et le général-lieutenant du corps des hydrographes, Konstantine Nikolaévitch Ogloblinski (Album Marianne Rampelberg, née Parfionoff)

Les familles des officiers et les réfugiés étaient logés dans les cabines ou dans des baraquements érigés sur le pont. Tous n’étaient pas logés à la même enseigne et la famille du chef de l’état-major madame Tikhmenev et sa fille Kira, occupaient la « cabine aux meubles en bois exotique ». Par contre, tous participaient aux corvées sur un pied d’égalité sous la direction du cuisinier du bord surnommé Papacha.[9] Madame Tikhmenev fut bannie de l’équipe des éplucheurs de patates en raison de pluches trop épaisses et on ne saura jamais si des revendications égalitaires n’étaient pas étrangères à cette exclusion. Beaucoup d’enfants vivaient sur le «  Gueorgi « et une école y fut organisée dans les locaux de l’amiral à partir du 1er octobre 1922. On comptait sur le « Gueorgui » au 21 juillet 1921, 111 personnes dont 76 dames,  12 fillettes de 1 à 10 ans, 6 jeune filles de 10 à 16 ans, 11 garçons de 1 à 10 ans, et 6 de 10 à 16 ans[10].

Les enseignants et les élèves de l’école du Gueorgui (Collection A. V. Plotto)

Premier rang (du bas), assis, de gauche à droite : Constantine Ivanovitch Tikhemeneff, 2. Chourik Elleboguen, 3. Bersenieff (?), 4. Youra Sokalski, 5. Jenia Bersenieff, 6. Chourik Lopatine, 7. Oleg Birileff, 8. Contre-amiral Alexandre Ivanovitch Tikhmeneff

2ème rang : 11. Militsa Konstantinovna Mordvinoff, 12. Olga Manchteïn, 13. Alexeï Oulianine, 14. Anastasia Manchteïn, 15. Militsa Zemenkoff, 16. Alexandra Manchteïn, 17. Michouk Maksimovitch 18. Kira Alexandrovna Tikhemeneff.

3ème rang : 21. ?, 22. Georges Tchernoï, 23. Micha Grigorenko, 24. Valia Rykova, 25. Irina Konstantinova Mordvinova, 26. Andréï Potapieff, 27. Contre-amiral Mikhail Andréevitch Berens.

4ème rang : 28. Raissa Alexandrovna Mordvinoff, 29. Vera Evguenievna Zelenoï, 30. Olga Roudolfovna Goutane, 31. Olga Porfirievna Tikhmeneff, 32 Tatiana Yourievna Dmitrieva, 33. Père Ioanniki Poletaeff.

5ème rang : 34 Général-lieutenant Konstantine Nikolaévitch Ogloblinski, 35. Capitaine de vaisseau Vladimir Ivanovitch Dmitrieff (ex-attaché naval en France), 36. Margarita Mikhailovna Korableff, 37. Contre-amiral Mikhail Semenovitch Podouchkine (commandant du Gueorgui)

Les enseignants étaient des occupants du navire. Ils ne comptaient qu’un professionnel, madame Blokhine, épouse du commandant en second du Général Korniloff et qui était un professeur d’arithmétique formée au célèbre institut Bestoujeff. Madame Goutane  enseignait la langue russe, le père Bogomolov de sa belle voix tonitruante, le catéchisme…

Madame Babkoff tenait le cabinet dentaire et un médecin, Madame Karaptsova, un cabinet médical.

Les « appartements », sur le pont, du capitaine de vaisseau Nikolaï Roudolfovitch Goutane ( en 1921, commandant du second groupe de navires de l’Escadre) et de sa nombreuse famille, (Photo prise vraisemblablement après 1922) (Album Marianne Rampelberg, née Parfionoff)

Derrière le capitaine de vaisseau Goutane, qui avait laissé de nombreux écrits, vraisemblablement son beau-père, le conseiller d’état, le notaire et avocat A. P. Podouchko, assis à terre le mari de la seconde fille de Podouchko, Clavdia, le sous-lieutenant en amirauté S. I. Moskvine. Parmi les autres, 2ème dame assise, Tatiana Konstantinovna Ogloblinskaya (par la suite Parfionova) les autres, vraisemblablement l’épouse du capitaine Antonina ainsi que la grand mère, la mère, la sœur…. du capitaine. Des vers satiriques disaient qu’il occupait la moitié du Guéorgui avec sa famille.

NOEL 1921

En décembre 1921 une somme de trois francs avait été distribuée pour fêter Noël, à tout le personnel de l’escadre, à L’Ecole navale et aux réfugiés assistés et quatorze francs à tous les enfants de moins de 14 ans.

La fête fut organisée pour les enfants sur l’initiative du commandant de l’Escadre dans le camp de Nador et sur le « Georgui » ainsi qu’à la coopérative de Tunis. Une aide fut apportée à cette dernière par le commandant de l’Escadre et par des bienfaiteurs français.

QUELQUES EXCES DE LA COLONIE RUSSE VITE REPRIMES.

Le 14 août 1921 une bagarre eut lieu dans le camp de Nador. Y prirent part sous l’effet de l’alcool, les lieutenants Selivanoff, le capitaine Zakrjevski, les sous-lieutenants Mirochnik, Asladini et Zelinski. La plupart étaient des officiers du temps de guerre. Par ordre N° 605 et 641 de l’amiral Berens ils furent tous dégradés.

A TUNIS, LES RUSSES S’INSTALLENT.

Un café-restaurant russe, le Rousky Ougolok fut ouvert à Tunis, au 26 de la rue Al-Dzazira fin 1921 avec deux salles, piano, orchestre le samedi et le dimanche.

Les réfugiés sans travail pourront y recevoir des repas ou des dîners sommaires aux frais du comité du ZEMGOR[12]

LA VIE RELIGIEUSE DE LA COLONIE

L’archiprêtre Guéorgui Spasski

Il y avait à bord des grandes unités navales de la flotte russe, une église et un prêtre de la marine y officiait.  C’était le cas des navires comme le dreadnought Guénéral Alexeeff, l’ex-navire de ligne le Gueorgui Pobedonnets, le navire-atelier Cronstadt, le croiseur Guénéral Korniloff et le croiseur Almaz. C’est ainsi que plusieurs membres du clergé orthodoxe de Russie, qui avaient le statut de prêtre de la Marine, vinrent avec l’Escadre russe à Bizerte. On peut citer l’archiprêtre Guéorgui Spasski qui était le prêtre principal de la Flotte de la mer Noire, les prêtres Vasilliï Torskiï, Constantine Gladkiï du Général Korniloff, le prêtre Nicolai Bogomoloff du Guéorguï Pobedonossets, l’archiprêtre Nicolaï Vanetskiï qui officiait sur l’Almaz,  l’archiprêtre Constantine Mikhalovski prêtre du Kronstadt, l’archiprêtre Ioannikiï Poletaeff également du Kronstadt , l’archiprêtre Konstantine Malijenovski et le diacre Ivane Baïzdrenko. Des offices furent célébrés dans les églises du Général Alexeev et celle du Gueorgui Pobedonossets jusqu’à la dissolution de l’escadre.

L’archiprêtre Ioannikiï Poletaeff (collection A. V. Plotto)

Au fur et à mesure du débarquement des élèves de l’Ecole navale ou des réfugiés, des églises furent improvisées à terre. La première fut celle de Djebel Kebir. Elle fut organisée dans une sombre casemate du fort éclairée par une meurtrière. L’iconostase provenait d’un des navires[11]. L’autel avait été improvisé sur place et quelques icônes avaient été peintes à Sfaïat. Le père Gueorgui (Spasski), grand érudit, animait cette chapelle par ses prêches talentueux. Le chœur de l’Ecole navale était d’un excellent niveau et les œuvres des compositeurs de musique sacrée comme celles de Gretchaninov, Arkhanguelski et Tchesnokoff y étaient chantées. L’église permettait aux jeunes cadets de retrouver des repères et plusieurs centaines de personnes se réunissaient dans cette église bien trop petite. Lorsque le temps le permettait, le père Gueorgui célébrait bien souvent les offices dans la cour du fort.

Les églises de Nador et de Saint Jean où officiait le père Ioannikiï (Poletaeff), puis celle de Djebel Djelloud où officiait le père Constantin (Mikhalovski) furent par la suite organisées ainsi qu’une église à Tunis située 60 rue Cellier organisée et servie par l’archiprêtre Konstantine Malijenovskiï


[1] Aperçu de la vie de l’Escadre établi par l’Etat-major

[2] lettre N° 114

[3] N° 669 du 7 octobre

[4] 48 d’après Chtchadrine/Makhroff

[5] Ordre N°695 du 6 novembre 1921.

[6] L’Escadre russe. Les adieux avec la Marine Impériale (A. Emeline, N. Kouznetsov et d’autres)

[7] Ibid.

[8] Baba en russe : bonne femme

[9] Pépère

[10] GARF. F. р-5903. Оp. 2. D. 177. F. 99–100 envers.

[11] D’après T. V. Yourieva qui cite A. V. Plotto dans Le destin des iconostases orthodoxes de l’Eglise de la Russie hors frontières, il s’agirait de celle du Cronstadt qui par la suite fut installé dans l’église de Saint Nicolas d’Ugine (France)

[12] En 1921, à Paris un Comité de la ruralité et de la ville russe, le Zemgor successeur du Zemgor de l’Empire de Russie, fut créé pour porter assistance aux Russes à l’étranger (présidé à différents moments par G.E. Lvov, A.I. Konovalov, N.D. Avksentiev et d’autres). Il devint l’une des plus grandes organisations publiques de l’émigration russe. Il était financé par des dons privés et des fonds provenant du Comité financier du Conseil des ambassadeurs russes qui ne reconnaissaient pas la Russie Soviétique. En plus d’aider les réfugiés, il s’est engagé dans des activités culturelles, éducatives et caritatives et a contribué à la création d’institutions éducatives pour les émigrants russes.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *