BIZERTE. LA COLONIE RUSSE. CHRONIQUE 1921.
Un chapitre du “Chemin de croix des officiers de la Marine Impériale de Russie”
Nos remerciements à I. KUTTLEIN, petite fille du colonel en l’amirauté A. A. POZNIAK, pour la correction des textes.
1-er SEMESTRE.
L’AIDE AUX REFUGIES.
L’ex-attaché naval Dmitrieff et l’amiral Kedroff apportèrent une aide précieuse. Ils faisaient expédier des objets de toutes sortes pour les femmes et les enfants. Il s’agissait de dons effectués par le Comité de bienfaisance des Dames de Paris, par la Croix-Rouge américaine, et la Croix-Rouge russe de Paris.
Mi-février 72 000 F furent envoyés par Dmitrieff et des sommes modiques distribuées à tout le personnel, aux femmes et aux enfants. Le personnel de l’escadre reçevait 18 F, les femmes et les enfants de plus de 16 ans, 10 F et les enfants de moins de 5 ans, 5 F.
En mars l’amiral Kedroff et le capitaine de vaisseau Dmitrieff transférèrent à nouveau de l’argent qui fut vite dépensé pour les premières urgences et pour améliorer l’ordinaire des camps et de l’escadre notamment pour Pâques qui est une fête particulièrement importante pour les Russes.
L’ETAT-MAJOR S’IMPLIQUE DANS L’ORGANISATION DE LA COLONIE RUSSE.
LA COMMISSION DE REPARTITION DE L’AIDE.
Le commandant par intérim, par ordre N° 90 du 20 janvier, ordonna de créer une commission de répartition des vêtements, chaussures… Ses membres étaient Mesdames E. Potapieff, O Tikhmeneff, M. Osteletsky, le capitaine de frégate Pachkévitch, puis par la suite le capitaine de vaisseau Guildebrandt, le Président de cette commission était le contre-amiral Nikolia. L’administrateur était le lieutenant en amirauté Kirioukine.
LE COMITE DES DAMES
Le 04.04.1921 un comité des dames fut également crée pour la distribution de l’aide aux femmes et aux enfants. La présidente était Madame Guérassimoff, et les membres Mesdames Tikhomiroff, Berg, Knorring, Plechteeff.
LA COMMISSION DES OFFRES D’EMPLOI
Une autre commission fut créée le 10 février, il s’agit de la Commission chargée des offres d’emploi qui était présidée par l’Amiral Osteletski et d’un représentant du Guénéral Alexeef, du Guénéral Korniloff, du Kronchtadt et de l’Almaz sur désignation du commandant et des deux membre de la brigades des mines et torpilles et des sous- marins sur désignation des commandants des groupes de navires.
Les objectifs furent les suivants :
Etablir un contact étroit avec le Contrôle Civil Bureau russe.
Entrer en contact avec les consuls étrangers se trouvant à Bizerte.
Collecter les listes renseignées de demandeurs d’emploi.
Informer l’Escadre des offres.
Etablir des documents pour ceux qui quittaient l’Escadre.
Le travail de cette commission contribua à rétablir la confiance, à terme, au sein même « du contre-espionnage français » puisque un bureau fut mis à la disposition de la « commission Osteletski » au « Contrôle civil Bureau russe ».
Le colonel Ardatoff, commandant russe du camp d’El Euch qui avait organisé de sa propre décision un « bureau d’emploi » qui fonctionnait efficacement mais pour son camp seulement, fut rappelé à l’ordre par les Français puis par les Russes. Il laissa un journal, « De Sébastopol à Bizerte » édité dans les « Autographes de Bizerte » en 2012 en russe.
Afin d’aider les réfugiés, le 26 mai 1921, l’amiral Berens, commandant par intérim de l’Escadre russe, prit l’initiative de créer une commission nommée « La Commission aux affaires russes d’Afrique du nord ». La Croix-Rouge russe se montra également active. Des initiatives personnelles virent le jour comme La Caisse d’Assurance Maladie Russe et la Polyclinique Russe de Tunis. (Voir dans ce blog le chapitre « LA COMMISSION AUX AFFAIRES RUSSES D’AFRIQUE DU NORD, LA COOPERATIVE RUSSE DE TUNIS, LA CAISSE D’ASSURANCE MALADIE RUSSE DE TUNIS, LA CROIX ROUGE RUSSE »)
LA PRIORITE POUR LES REFUGIES : SE REARGENTER.
La plupart des réfugiés demandaient à travailler mais début mars 1921 seule une centaine de refugiés trouvèrent un emploi. Les refugiés furent encouragés avec insistance par les autorités françaises à trouver un emploi, la principale offre étant le travail dans les fermes. Les autorités françaises tentèrent de trouver des emplois correspondant à la spécialité des réfugiés quelquefois avec succès. Les familles furent autorisées à rester dans les camps et profiter des rations alors que le chef de famille travaillait. En cas de perte d’emploi, le retour au camp était possible.
Au 24 avril 1921, 390 refugiés et 320 personnes de l’escadre trouvèrent du travail.
A partir du 21 mai, les français se montrèrent encore plus pressants et des réfugiés furent obligés d’accepter le travail sous la contrainte.
Le haut-fonctionnaire Français Monchicourt dans la « Tunisie après- guerre » relatait :
«Les administrations ou particuliers prirent à leur solde en avril et en mai une bonne moitié de ces immigrants occasionnels. On leur demanda spécialement des ouvriers agricoles (2050), des techniciens (100), des mineurs (80). En outre, une centaines de femmes se casèrent comme gouvernantes ou domestiques. Ces 2825 Russes qui se contentent de salaires modérés s’acquittent de leur tâche d’une façon louable. »
LES EFFECTIFS
Au 23 avril 1921, la répartition dans les camps, l’escadre, l’école navale, l’hôpital et ceux vivant à terre et assurant eux-mêmes leur subsistance était la suivante[1] :
D’après d’autres sources, il y aurait eu également 26 femmes et 12 enfants à l’hôpital.
DESTABILISATION ET RETOUR EN URSS.
Un télégramme fut reçu le 18 avril par le Contrôle civil. Ce télégramme daté du 12 avril adressé au Ministre résident de Tunis avait été expédié par le Haut- Commissaire de Constantinople. Ce télégramme mentionnait : « La radio bolchévique du 7 avril annonce que l’entrée en Russie est autorisée pour les soldats, les cosaques, les paysans mobilisés et les grades subalternes de l’armée Wrangel ; il peuvent revenir, ils seront pardonnés ». Veuillez transmettre ce télégramme à tous les russes de Crimée se trouvant à Tunis. Briant.
Environ 200 matelots s’inscrivirent pour un retour ( 130 d’après d’autres sources) et les listes furent transmises au Contrôle civil mais ce sujet restera sans suite.
En même temps, les journaux français et une partie des journaux russes publiaient :
« le message officiel du gouvernement français concernant son intention d’isoler le Général Wrangel de son armée, cette dernière passant à un statut de réfugiés ». Ces informations créaient un climat de nervosité et pour calmer les tensions le commandant par intérim par ordre N° 380 du 25 avril annonça :
Ces derniers temps, les rumeurs les plus diverses circulent sous forme de messages ou de dispositions du Gouvernement Français. Je vous informe que la procédure de communication officielle demeure inchangée, c’est à dire que tous les dispositions du Gouvernement français concernant l’Escadre et les Russes qui se trouvent à Tunis, passent exclusivement par moi-même, par l’intermédiaire de mes ordres. Toutes les autres informations et rumeurs doivent être considérées comme personnelles et n’ayant aucune incidence sur notre sort.[1] »
« On ne peut ne pas remarquer que les autorités civiles (Le contrôle Civil) en recevant de telles informations, comme par exemple le message radio bolchévique concernant l’amnistie ou en commentant les articles de la presse relatifs à l’isolation du Général Wrangel par rapport à l’armée, tentait vraisemblablement de créer la panique parmi les Russes et faire en sorte qu’il se dispersent, et ne reçoivent plus de ration de subsistance. A Gallipoli et plus particulièrement à Lemnos, c’était les autorités militaires qui s’occupaient de cela, à Bizerte les autorités militaires, bien au contraire, s’efforçaient de soutenir les autorités russes et appelaient à obéissance stricte au commandant des camps dont l’autorité fut élargie. »
L’adjoint au Gouverneur militaire, le général Sarton du Jonchay, comme cela a été précisé précédemment, calmait les Russes dans les camps, et conseillait de se soumettre à leur chef.»[2] Il faut préciser que dans le même temps, le commandant par intérim de l’Escadre recevait un total soutien des autorités militaires et maritimes, par contre, certains représentants des autorités civiles, par leurs déclarations aux officiers et au matelots, sapaient l’autorité du commandement russe. Ceci a eu lieu pendant la période la plus difficile pour l’Escadre de mi-mars à début mai 1921.
Le 25 avril, une rumeur se répandit comme une trainée de poudre : les Français arrêtaient la distribution des rations au 1er mai. Une note de l’amiral Berens fut émise pour calmer les esprits.
VIE CULTURELLE DES REFUGIES
L’amiral Berens fit éditer un bulletin d’information. Malheureusement nous ne disposons pas de l’intégralité de ces documents. Le N° 10 est daté du 4 février, et il y a eu vraisemblablement une dizaine de ces bulletins édités en janvier 1921. Le 13 est du 7 février, le 19 du 15 février et le 20 du 4 mars.
Dès février 1921, les manifestations culturelles russes donneront une autre dimension à la ville de Bizerte. L’Escadre disposait d’un énorme potentiel culturel dont profiteront bien entendu les Russes mais aussi la population locale.
Un concert sera organisé le 5 février au Cercle des officiers de Bizerte. Se produiront, le capitaine de frégate Guildebrandt au piano, le marin Nazarenko qui chantera, l’orchestre de balalaïkas, un chœur de 30 personnes, la dimension de la salle ne permettant pas au chœur entier de se produire.
Il était prévu de donner un concert le 6 février pour les grades subalternes français, mais nous ne savons s’il s’est produit.
Des commentaires d’une grande compétence concernant ce concert, sont mentionnés dans le bulletin d’information.
20.III.1921.L’orchestre de l’état-major de l’Escadre jouera à un dîner de gala donné par les autorités locales en l’honneur du Résident à Tunis (les Français ne disposait pas d’orchestre à Bizerte).
27.03.1921. Au théâtre Garibaldi l’orchestre de balalaïkas du Guénéral Korniloff se produisitt lors d’un concert qui a connu un grand succès.
29.03.1921. Le junker Iouchtchenko du Guénéral Korniloff avait été invité à jouer au violon pendant la messe solennelle de Pâques catholique, dans l’église catholique locale. Après le service divin, le prêtre s’est adressé à l’audience avec un discours : « Nous avons écouté de la musique spirituelle interprétée par un musicien russe, pour laquelle nous lui apportons notre profonde gratitude ; par-là, je ne peux que souligner notre sympathie pour les Russes, nos anciens alliés ; je dirai même plus, nous croyons fermement que la Russie survivra au malheur qui lui a été envoyé par la volonté du Créateur et qu’elle en sortira aussi grande et puissante que nous l’avons connue auparavant. »
3.04.1921. Une fête de bienfaisance fut organisée au profit des réfugiés russes. Le programme de la fête fut le suivant : des orchestres russes jouaient sur la terrasse du Cercle des officiers et sur la place de la ville, de 14h à 19h, de grands concerts, des exercices de gymnastique du club féminin, des danses russes, l’orchestre de balalaïkas et des jeux arabes.
4.IV.1921. Un chœur de chanteurs et l’orchestre de balalaïkas du contre-torpilleur Derzkiï se rendirent à Tunis pour participer à un concert organisé par les Français à des fins caritatives.
[1] Archives A. Plotto
[2] Vie et état d’esprit du personnel de l’Escadre au premier semestre 1921 (Rapport de l’état major de l’escadre adressé au général Wrangel)