BIZERTE. L’ESCADRE ET LA COLONIE RUSSE. LES GRANDES LIGNES.

BIZERTE. L’ESCADRE ET LA COLONIE RUSSE. LES GRANDES LIGNES.

LE DEPART POUR LES CAMPS

Il était prévu d’envoyer les réfugiés à Ain Draham en nombre correspondant à la capacité du camp, puis de continuer vers Tabarka puis vers Monastir. L’affectation d’autres camps à proximité de Bizerte ne sera annoncée que par la suite.[1] En plus d’Ain Draham, de Tabarka, de Monastir et de Sfaïat, il s’agit d’Ain-Bittar pour 180 personnes et de Ben Negro pour 120 personnes. Il faut souligner que les camps éloignés seront tous fermés avant fin mai 2021 sauf celui de Djebel Djelloud situé près de Tunis qui permettait de trouver un emploi plus facilement qu’à Bizerte et dont le maintien en activité était parfaitement justifié et des plus utiles.

Emplacements des « camps lointains » et ceux de Bizerte. Cliquez pour Zoomer.

Lorsque les réfugiés quittent l’escadre, ils sont conduits avec leurs affaires dans une vedette française dans un premier temps pour désinfection dans l’hôpital de Sidi Abdallah dont la capacité de désinfection est de 50 personnes tous les deux jours. La procédure dure 2 jours et les groupes sont transportés tous les lundis, mercredis et vendredis,  pour une douche d’eau froide, la tonte pour les hommes, la désinfection des vêtements et la vaccination contre la variole. Le secteur des femmes est au début, servi par des militaires français, qui seront remplacés après vives protestations par du personnel féminin russe.

La désinfection est décrite en ces termes par les Russes :  « La désinfection des personnes et des vêtements était effectuée à l’hôpital de Sidi-Abdallah non seulement de la façon la plus primitive, mais laissait désirer mieux. On prenait aux arrivants toutes les affaires ainsi que les vêtements et le linge. Tous les hommes étaient tondus à la machine et on les obligeait à prendre une douche, habituellement tout à fait froide. Quelquefois on manquait d’eau et il fallait attendre. Dans la section féminine il n’y avait pas de personnel féminin peu qualifié et le service était assuré par des matelots infirmiers. Il y a eu à ce sujet une protestation du chef d’état-major adressée au médecin principal et pour les départs suivant, le service de désinfection des femmes était assuré par des infirmières russes. Après la douche, du linge et des robes de chambre étaient distribués et toutes les affaires et linges personnel était désinfectés par des gaz sulfureux dans une chambre spéciale. Tous cela était effectué de façon extrêmement négligente, à l’évidence pour l’apparence, et il y a eu des cas ou des personnes, après désinfection, trouvèrent sur eux des insectes alors qu’ils n’en avaient pas avant la désinfection. »[2]

Après désinfection, les réfugiés étaient conduits dans les camps. Un wagon de 3-ème classe et un wagon pour les bagages est mis à la disposition des réfugiés à la station Tinja avant 7 heures de matin pour se rendre dans les camps lointains et des camions pour les femmes et les enfants, les hommes marchant à pied, pour les camps situés à proximité. Les réfugiés seront accompagnés par un adjudant des tirailleurs.

Les familles devaient obligatoirement être accompagnées par le chef de famille ce qui posa rapidement un problème puisque les officiers les plus âgés se trouvaient dans l’obligation de quitter l’Escadre et ceci pour partir dans les camps les plus éloignés afin que leur famille vivent dans des conditions meilleures.

Les cadets ne seront pas désinfectés à Sidi Abdallah mais à l’hôpital militaire de Karouba d’où il partiront pour Kébir. Les 1044 personnes du « Constantine » qui devaient partir pour Constantinople seront désinfectées par groupes de 150 à partir du 25 janvier dans le camp de Ben Negro et placées dans les camps de Romadié et de Nador.

UN « BRAS DE FER DIPLOMATIQUE » S’ENGAGE.

Dès les premiers échanges, le ton est donné : limiter les frais au maximum. Côté Russe, sachant que le gouvernement français se payera avec les navires, on se conforme à ces instructions avec zèle. S’agissant de la remise en état des navires, les intérêts convergent également et on se met à l’ouvrage.

Pour limiter les frais, il était prévu par les Russes qu’une partie des navires soit placée en « longue conservation » de façon à pouvoir retirer l’équipage et d’assurer le gardiennage seul et de mettre les autres en « réserve » avec un effectif suffisant permettant de rendre les navires rapidement opérationnels.

 L’amiral Berens s’adressa au préfet maritime le 12 janvier dans la lettre N° 3113 dans laquelle il demandait[1] :

De l’informer des intentions du gouvernement français concernant l’escadre.

De réserver les meilleurs locaux aux familles du personnel ne pouvant quitter l’Escadre c’est-à-dire « comme vous me l’avez fait comprendre les logements d’Ain Drakham »

De placer les familles du personnel enseignant de l’École Navale qui ne trouverait pas de place à proximité des casernement à Ben Negro qui était le camp le plus proche de l’Escadre.

De conserver à l’École Navale le Yakout et le Svoboda pour la formation;

De conserver les cadres indispensables au service des navires mis en réserve.

De placer les familles des officiers ne  pouvant quitter l’escadre après Aïn Drakham à Ben Negro.

Dans sa réponse du 13 janvier N° 313 D, l’amiral Darrieux écrivit[2] :

 « A l’heure actuelle il m’est impossible de répondre à la question posée dans votre lettre N°313 du 12 janvier relative à l’intention du gouvernement français concernant l’Escadre Russe. Je n’ai réellement reçu aucune décision concernant cela. Quelques soient les décisions du département, vous serez d’accord sur le fait que notre ligne de conduite doit actuellement découler des principes suivants :

  1. Prendre toutes les mesures pour réduire au minimum les frais nécessaires à l’entretien de l’Escadre.

      2. Utiliser toutes les forces pour assurer la conservation du matériel.

  1. Assurer les deux points mentionnés ci-dessous, en fournissant à vos cadres une assistance ainsi que de bonne condition de vie compatible avec les moyens locaux ainsi que permettre le repos suite à la fatigue et aux souffrances supportés si longtemps.

Voila pourquoi j’ai adopté la conduite suivante : »  ….

« La réduction du personnel des navires doit être effectuée dans les délais les plus brefs en ne conservant que les cadres assurant le gardiennage des navires placés en réserve. C’est de ce principe que découle le placement à Ain-Drakham, Monastir et Tabarka des familles, rassemblées en groupe et des cadets à Kébir et Sfayat. Cette réduction des cadres s’effectuera normalement dans des conditions définies avec vous. Je pense qu’il n’y a pas de raison de faire une différence entre les familles des officiers et des cadets et celles des officiers, que vous comptez laisser sur les navires pour le gardiennage à partir du moment de la mise en réserve des navires. Les premières trouveront des logements avec leurs chefs de famille et seront envoyés par groupe ne dépassant pas 25 personnes suivant la procédure définie pour les cadets. Les secondes pourront rester sur les navires avec le chef de famille jusqu’à ce que les quarantaines sanitaires se terminent et les communications avec la terre rétablies. Il pourront alors chercher des logements à terre mais je répète que je doute du succès de ces recherches puisque il y a ici une crise du logement. Le résultat de cela doit être la décision de ne laisser sur les navires en réserve qu’un nombre minimal d’officiers. Le mise en réserve des navires doit être mise en place immédiatement pendant que les équipages se trouvent encore sur les navires. Cela sera pour eux une occupation qui aura le meilleur effet sur les esprits des équipages actuellement isolés.

J’espère que seuls les grands navires nécessiteront un gardiennage. Sur les petit navire (contre-torpilleurs, sous-marins, brise-glaces) les équipages pourront être totalement supprimés. L’ entretien de ces dernier pourra être assuré par nos équipages après la désinfection des navires, qui sera effectuée, les uns après les autres, à Sidi Abdallah, dans des emplacement de stationnement que je choisirait dans nos base de la flotte ou de la direction du port. Les grades subalternes, qui dépasseront les normes de mise en réserve des grands navires pourront être rassemblés dans les camps, par exemple ceux qui ont servi à loger la presque totalité de l’armée Serbe. Les mesures en ce sens sont prises. »

Le principal point de désaccord est le statut des navires. Les Russes souhaitant qu’un maximum de navires reste en réserve alors que les français souhaitent qu’ils soient mis en longue conservation et, de ce fait, il y a un désaccord concernant les effectifs de l’Escadre et de plus, concernant l’abandon par les Russes des « petit » navires aux Français, les contre-torpilleur et les sous-marins entrant dans cette catégorie.

LE « SANATORIUM » D’AIN DRAKHAM.

Ain Draham sous la neige

Bien que les Français présentaient Aïn Draham en qualité de sanatorium et de meilleur camp, ce dernier était sans doute agréable en été mais en hivers, les conditions de vie dans ces baraquements, non chauffés, dans la montagne à plus de 800 m, dans l’endroit le plus humide de Tunisie étaient épouvantables, en raison de pluies fréquentes, du brouillard et de la neige. D’après les descriptions des rapports russes, Il s’agissait de baraquements destinés aux troupes « d’Afrique Noire », non chauffés, souvent avec des fenêtres sans carreaux et un sol en terre battue alors que la température dans ces baraques était de 4° C la nuit. La nourriture y était exécrable. Les réfugiés vendaient le peu qu’ils avaient emporté à un prix dérisoire pour améliorer l’ordinaire. Il y a eu de nombreux malades et de nombreuses maladies sont constatées dans les rapports du médecin russe comme le scorbut, la pneumonie, les rhumatismes. Il y a eu plusieurs interventions de l’amiral Berens à ce sujet. L’administration  française traina des pieds pour l’expédition de 4 t de matériel, cuisine de campagne, médicaments, samovars, couvertures… fourni par l’Escadre. L’expédition avait été proposée par lettre N° 3150 du 2 février et s’était heurté à un refus. La proposition de transporter ce matériel à Tabarka par la mer sur un navire russe s’était heurté également à un refus et ce n’est que fin février que le matériel fut finalement expédié.

Par ailleurs, sur ordre du commandant du camp français, les Russes affaiblie par la sous-nutrition, devaient effectuer des travaux difficiles sans distinction d’âge ni de grade, comme le dessouchage et le transport de pierres devant des soldats français désœuvrés ce qui suscitait un mécontentement justifié des officiers russes.

Ces conditions étaient bien différentes de celles évoquées dans le point 3 de la lettre de l’Amiral Darrieus du 13 janvier N° 313 D et on ne peut que s’interroger sur les motivations du brillant administrateur qu’était l’amiral Darrieus, pour le choix du camp Aïn Draham. 

Dans les autres camps, les conditions s’étaient avérées bien meilleures. Les camps de Nador et de Romadié qui avaient pu être visités par l’amiral Berens le 2 février avaient été jugés satisfaisants, les tentes étaient neuves et ne fuyaient pas, les couvertures étaient distribuées en quantité suffisante, le climat plus clément et par la suite des baraquements avaient été affectés.

La nourriture était toutefois partout insuffisante sauf dans l’Escadre qui profitait des « rations marines », puis, par la suite ces rations furent obtenus également pour l’École Navale.

Les tentatives de déstabilisation sont restées toutefois bien timides comparées à celles de Gallipoli, de Lemnos et les conditions de vie dans les camps,  bien meilleures que celles de l’Armée de terre à l’exception peut-être d’Aïn Draham, L’État-major russe était respecté et les armes légères conservées sur les navires, les obus et explosifs étant transmis aux Français pour stockage sur une initiative russe.

SUITE : BIZERTE. L’ESCADRE RUSSE. CHRONIQUE 1921.

[1] Rapport : Le stationnement de l’escadre et le placement des familles des gradés dans les camps

[2]  Rapport :Le stationnement de l’escadre et le placement des familles des gradés dans les camps. Il s’agit donc d’une traduction à partir du russe.

[3] Rapport : Le stationnement de l’escadre et le placement des familles des gradés dans les camps

[4] Rapport : Le stationnement de l’escadre et le placement  des familles des gradés dans les camps

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