LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

Les sources

Il existe une montagne de documents d’archives, de correspondances, de témoignages, de dossiers de justice concernant cet événement mais cette masse de documents incomplète, souvent inexacte, presque toujours orientée reste difficilement exploitable. A ce jour, nous ne connaissons pas tous les membres de l’équipage puisque la seule liste se trouvant à bord a été détruite et de plus, beaucoup de noms à l’époque étaient transcrits de manière fantaisiste. L’historien Kardacheff[1] qui a effectué une étude remarquable des documents d’archives[2] n’a pu identifier que 82 % des membres d’équipage.

Une multitude d’ouvrages traitent du sujet mais restent sujet à caution, la plus grande partie étant soviétiques, du fait de l’engagement politique, volontaire ou involontaire des auteurs.

Un ouvrage d’historien considéré à ce jour comme sérieux, écrit pendant la période soviétique, celui de Gavriloff, « La lutte pour la liberté. L’insurrection du cuirassé Potemkine » cite abondamment Lénine, pourtant un grand absent de cet événement, et tente d’expliquer pourquoi les membres du comité bolchévique d’Odessa, V. A. Khroustaleff et le bolchevique E. M. Yaroslavski qui tenteront de monter à bord, ont été repoussés à coup de fusil par les membres d’’équipage. Il écrira cette phrase remarquable : « De tous les officiers on en tua seulement sept. »

Les souvenirs et témoignages de deux « étudiants » menchévistes montés à bord du Potemkine à Odessa après le massacre, Feldman[3] et Kirill, pseudonyme de Berezovski[4], qui partageaient les mêmes opinions politiques[5], divergent sur des points particulièrement importants. Feldman écrira que Vakoulentchouk fut le premier à passer du côté du groupe qui acceptait de manger le borchtch et Berezovski écrira que Vakoulentchouk resta à la tête du groupe de la trentaine de marins qui refusèrent.

Les témoignages apportés pendant la période soviétique ne s’écartaient pas, le plus souvent, de la version du film d’Eisenstein « Le cuirassé Potemkine » (1925) les témoins redoutant de gros ennuis. Peu d’officiers ont laissé leurs mémoires. Parmi ces derniers, l’ingénieur-mécanicien sous-lieutenant A. M. Kovalenko qui n’a pas participé à la mutinerie proprement dite mais s’est réfugié en nageant jusqu’au radeau d’une cible flottante.

On pourrait le cataloguer comme faisant partie d’une intelligentsia révolutionnaire, déconnectée des réalités, qui rejoindra volontairement les rangs des mutins et il se montrera actif et coopératif.  Son témoignage est des plus intéressants. Des faits lui ont été cachés comme le meurtre du médecin du bord Smirnoff, jeté à l’eau vivant. Il raconte : « Soudain le bruit d’une salve parvient du pont. Je lance un regard interrogatif aux matelots. L’un d’eux sort en courant puis revient vite et sur un ton rassurant m’informe que des fusils ont été déchargés en tirant en l’air. Bien qu’il m’ait semblé que son visage montrait des signes d’une excitation particulière, je n’eus pas de soupçons. »

Il faut préciser que plusieurs personnes auraient sans doute été tuées par les mutins sans ses interventions. Il consigna ses souvenirs dans « Onze jours sur le cuirassé Kniaz Potemkine Tavritcheski » édités dans le périodique Byloe « Journal consacré à l’histoire de la libération » en janvier 1907 à Saint Pétersbourg. Il est remarquable que ses mémoires n’aient pas été censurés avant la révolution, par contre, ils ne seront jamais édités pendant la période soviétique.

Un autre témoignage[6] nous a été laissé par l’ingénieur mécanicien, A. N. Kharkevitch, que l’on peut difficilement soupçonner de partialité puisqu’il était détaché à bord par le chantier naval de Nikolaev pour la période de garantie du navire et ne faisait donc pas parti de l’équipage. De plus, ses mémoires ont été rédigés en France. Il dresse dans ses mémoires le portrait des principaux officiers impliqués. Son témoignage est particulièrement intéressant. Curieusement, ses mémoires qui ont pourtant fait l’objet de discussions dans des forums d’historiens de la marine, ne sont jamais cités dans les ouvrages concernant le Potemkine à l’exception d’ouvrages très récents.

D’autres sources existent mais la recherche de la vérité est difficile, les enquêtes étant orientées, le « dépoussiérage » de 70 ans de propagande soviétique toujours pas achevé, les témoignages ne se recoupe pas et le puzzle une fois assemblé reste incohérent sur de nombreux événements.

Une insurrection, bien plus importante que celle du cuirassé Potemkine aura lieu à Sébastopol en novembre 1905, celle du lieutenant Schmidt, qui se terminera par un combat naval dans la rade à coup de canons d’artillerie lourde. Les navires des insurgés seront coulés ou incendiés et il y aura 150 morts. Le lieutenant Schmidt et quatre autres meneurs seront fusillés et des amiraux limogés. Cette insurrection aujourd’hui méconnue est passée à la trappe de l’histoire alors que celle du cuirassé Potemkine est connue de tous grâce au film de Serguei Eisenstein et en France, la chanson du chanteur Jean Ferrat et du parolier Georges Coulonges, tous deux communistes.


[1] Kardacheff « L’insurrection. Le cuirassé Potemkine et son équipage. » 2008.

[2] L’historien Kardacheff mentionne que la plus grande partie de ces archives n’avait pas été étudiée d’une manière scientifique.

[3] Etudiant de 24 ans, menchévik, qui embarque à bord du Potemkine à Odessa après la mutinerie du 15. Il porte un uniforme de matelot et négocie avec les autorités portuaires en se faisant passer pour un membre de l’équipage. Son témoignage deviendra par la suite son principal « fonds de commerce ». Il jouera son propre rôle dans le film d’Eisenstein, puis fera carrière dans le cinéma[3] et il n’écrira pas moins de six ouvrages concernant la mutinerie.  Il est toutefois indéniable qu’il avait du talent pour l’écriture.

[4]  Embarque à bord du Potemkine à Odessa après la mutinerie du 15. Il dévoilera dans ses souvenirs les noms des initiateurs de la mutinerie alors que l’enquête policière était en cours. Son livre sera saisi par la police chez l’éditeur Slovo.

[5] Menchéviste

[6] K. A. Kharkevitch. Mutinerie à bord du cuirassé Kniaz Potemkine Tavritcheskii. Istochnik, numéro 2000.5. (Ecrit à Cannes le 26 aout 1930)

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