LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

Les essais du Potemkine avant les manœuvres

Le 12 juin 1905 vers 14 heures, le Potemkine largue les amarres et marche vers la baie de Tendra afin d’y effectuer des tirs pour tester artillerie et munitions. La baie de Tendra est un endroit particulièrement propice aux manœuvres et aux exercices de tous genre. Il est prévu que le Potemkine sera rejoint par l’escadre après les essais.

La baie de Tendra et Odessa (extrait de carte de l’époque). Cliquez pour zoomer. 

Le cuirassé est accompagné par le torpilleur N° 267, un petit navire vétuste qui sert de navire de service et qui compte un seul officier, le baron P. M. Klodt Von Yourguensbourg[1], un officier d’artillerie.

Le torpilleur N° 267 à couple avec le Potemkine. Cliquez pour zoomer.

La mutinerie.

Le 13 juin, vers 7 heures, le cuirassé et le torpilleur jettent l’ancre à proximité de la flèche de Tendra et une barque se rend à Odessa pour envoyer un télégramme. Le commandant du « Potemkine » Golikoff et le colonel Schultz se rendent à terre pour visiter une installation de pisciculture ou de pêche et négocie l’achat d’un filet de pêche qui servira au loisir de l’équipage. Il fait chaud, très chaud.

Dans la journée, le torpilleur appareille vers Odessa avec à son bord l’intendant, le mitchman Makaroff et deux marins du « Potemkine », pour chercher des provisions. Les marins du « Potemkine », une fois débarqués à Odessa vers 17 heures, trouve la ville en ébullition en raison des grèves et des manifestations. Les troubles ne sont pas propices au commerce et pour ces raisons, il n’y a pas de viande au marché. On cherche et on finit par en trouver chez une connaissance de Makaroff, à la boucherie Kopyleff.  28 pouds[2] de bœuf et il n’y avait pas d’autre choix. Les accompagnateurs de Makaroff donnent un avis favorable à l’achat. Il s’agissait d’une bête abattue le 11 ou le 12[3]. Il faut préciser que les officiers mangeaient la même viande que l’équipage mais que la préparation pouvait différer.

Au retour, la nuit, en sortant du port le torpilleur éperonne un bateau de pêche marchant sans feux et s’arrête pour sauver les pêcheurs et les ramener à bord. Cela prendra environ 3 heures.

Le torpilleur n’accoste le Potemkine que vers 3 heures du matin, la viande est sur le pont surchauffé du petit navire et il n’y a, à l’époque, pas d’installation de réfrigération, ni sur le torpilleur, ni d’ailleurs sur le cuirassé. La viande sera donc faisandée[4]  et une légère odeur sera notée par l’officier de quart Yastrebtsoff. On portera une partie de la viande à la cambuse pour préparer le borchtch et on suspendra ce qui reste à l’air sur le pont pour une meilleure conservation comme cela était pratiqué à l’époque. Bien entendu, les nouvelles des événements d’Odessa s’ébruitent.

Le 14 juin, la journée est extrêmement chaude et l’équipage se baigne en mer puis s’aligne sur le pont pour la ration quotidienne de vodka, que les matelots, les « buveurs », boivent les uns après les autres.

Il s’agissait d’une tradition dans la marine russe et chaque jour avant le repas ainsi que le soir, retentissait le sifflet du bosco que l’on appelait, à cette occasion, « le chant du rossignol », puis l’on portait dans un registre spécial, les noms des buveurs. Ceux qui ne buvaient pas recevaient en fin de service une compensation financière qui était, étant donné la durée du service, substantielle. Cette distribution s’effectuait par le cambusier sous l’œil attentif du chef de quart et il était recommandé de distribuer 2/3 de 123 ml le matin et 1/3 le soir conformément au règlement et aux recommandations des médecins de l’époque.


Il était recommandé lors de la consommation de se découvrir et de faire le signe de croix. Inutile de préciser que de bonnes relations avec le cambusier pouvaient être utiles et profitables. Il n’est d’ailleurs pas impossible que des « autorités » comme Matiouchenko aient été favorisés lors de la distribution.

Distribution de vodka sur le Dimitri Donskoï. Cliquez pour zoomer.

En même temps, se déroule la dégustation du borchtch par le commandant, une procédure quotidienne, mais il n’était pas rare que le commandant se fasse remplacer par un officier ce qui est le cas ce jour-ci et c’est le mitchman Litvintseff qui goûte et qui confirme que la soupe est bonne.

Rituel de la dégustation de la soupe par le commandant. Cliquez pour zoomer.

Il s’agissait d’un rituel important et des plus sérieux, la photo en atteste, et l’officier ne manquait pas de critiquer, donner des recommandations ou des compliments et sur le yacht Impérial le Chtandart, la dégustation était effectuée par l’Empereur en personne.

La dégustation était suivie du repas. La soupe était apportée dans des baquets et l’on se groupait à plusieurs autour d’un baquet pour déjeuner. Cela ne posait aucun problème à l’équipage puisque le plus souvent, c’est ainsi qu’ils déjeunaient chez eux. Il y avait à bord des locaux pour les repas mais par beau temps « des bâches étaient dépliées sur le pont sur lesquelles s’asseyaient les matelots… »[5]

Des matelots protestent en raison du manque de fraicheur de la viande suspendue sur le pont auprès du chef de quart, l’enseigne N. I. Livinstev, qui en fait part au commandant. Le commandant accompagné du médecin examine la viande et le médecin confirme que la viande est propre à la consommation.

Kovalenko écrira : « Après quelques minutes, le médecin informe le commandant que de son point de vue, la viande est tout à fait propre à la consommation et que les vers qui se trouvent dessus ne sont rien d’autre que des larves de mouches qui ont pu pondre sur la viande. Le rinçage à la saumure est tout à fait suffisant pour éliminer les vers et faire disparaitre leurs traces. »[6]

L’incident semblait clos

[1] Il changera de nom par la suite et se fera nommer Krassinski

[2] Le poud fait environ 16 kg

[3] Témoignage d’un employé de Kopyleff, Y. A. Vorobieff, mais les témoignages concernant la fraicheur de la viande divergent. 

[4] Un des employé de la boucherie, Vorobioff, témoignera que les bêtes avaient été tuées le 11 ou le 12 juin.  Kardacheff. L’insurrection. Cuirassé Potemkine et son équipage. OAO Dom Petchati Viatka, Moscou 2008

[5]  Coutume et tradition de la Marine Impériale russe. Nicolas Manveloff. 2008 Edition Yaouza et Exmo www.eksmo.ru

[6] « 11 jours sur le cuirassé Kniaz Potemkine Tavritcheski », A. Kovalenko périodique Byloe « Journal consacré à l’histoire de la libération », N° 1/13, janvier 1907 et 2/14, février 1907 Edition Schmidt, Saint Petersbourg

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