LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

LES FAITS

Le navire.

Un des navires réputé parmi les plus puissants et le plus moderne de la flotte de la mer Noire est le cuirassé Kniaz Potemkine Tavritcheski[1] du nom d’un favori de l’Impératrice Catherine II.

Le cuirassé Potemkine 1903. Cliquez pour zoomer.

En octobre 1905, il changera de nom en raison de la mutinerie et sera appelé Pantéléimone, nom symbolique puisqu’il s’agit du saint du jour de la victoire navale de Gangout, des Russes sur les Suédois.

Pantéleimonne 1906 – 1910 ex-Potemkine. Cliquez pour zoomer.

Cuirassé d’escadre Kniaz Potemkine Tavritcheski.
(nom rayé et remplacé par Pantéléimonne).
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Il est armé de 4 canons modernes de 305, 16 de 152, 14 de 75, 2 de 63, 6 de 47, 2 de 37 et de 4 tubes lance-torpilles, marche à plus de 16 nœuds et son blindage atteint 229 mm.

Dans la réalité, c’est un navire plutôt lent mais il s’agit d’un choix technique, les escadres se déplaçant à environ 15 – 16 nœuds. En outre, il est techniquement dépassé en raison de la lenteur de sa construction qui a débuté en 1898 pour une mise en service en mai 1905. Il s’agit toutefois du premier navire dont la gestion de l’artillerie est centralisée.

Le cuirassé, flambant neuf et récemment mis à l’eau, n’a pas encore achevé tous les essais prévus. L’état-major souhaite le voir participer aux manœuvres une fois les essais achevés et pour cette raison, le Potemkine prend la mer, précédant le reste de l’escadre.

Les hommes

L’équipage prévu pour le Potemkine est de 26 officiers et de 705 hommes d’équipage.

Les officiers et les hommes d’équipage du Potemkine. Cliquez pour zoomer. 

Les officiers et assimilés.

Il n’y a à bord du navire que quinze officiers, bien moins que prévu (il y a également deux médecins et un prêtre qui ont rang d’officier). Cette différence s’explique par un déficit chronique d’officiers de la marine russe au début du siècle dernier accentué par la guerre Russo-Japonaise

Parmi les officiers, six sont expérimentés, bien peu pour un navire aussi important, le commandant, le capitaine de vaisseau E. N. Golikoff, son second, le capitaine de frégate I. I. Guiliarovski qui vient tout juste d’être affecté au navire, l’officier en chef des mines et torpilles, le lieutenant V. K. Tonne, l’officier en chef d’artillerie L. K. Néoupokoeff, l’officier en chef de navigation, le capitaine G. K. Gourine, l’ingénieur mécanicien en chef N. Y. Tsvetkoff. Tous ont de dix à vingt ans de service et le commandant en a trente.

Cinq sont de jeunes officiers peu expérimentés comme l’intendant, le mitchman A. N. Makaroff, l’officier d’artillerie en second le mitchman B. V. Vakhtine, le mécanicien des mines et torpilles, le lieutenant S. A.  Zaouchkevitch, le mécanicien de quart, le sous-lieutenant  P. V. Kolioujnoff, l’aspirant de la marine N. C. Yastrebtsvoff.

Quatre officiers ne sont pas véritablement des officiers de carrière de la marine de guerre et sont des appelés. Il s’agit de l’enseigne D. P. Alexeeff qui est un officier de la marine civile, du lieutenant de la marine N. Y. Liventseff, du mécanicien, le lieutenant A. M. Kovalenko et du mécanicien pour la partie hydraulique, le lieutenant I. F. Nazimov.

S. G. Smirnoff est le médecin en chef, A. S. Galenko, le médecin en second et Parmène, le prêtre.

Il y a également à bord une équipe technique détachée par le chantier naval de Nikolaev pour la période de garantie du navire, composée de l’ingénieur mécanicien A. N. Kharkevitch et d’une équipe de vingt-trois personnes.

Cet exercice est prévu de longue date et des spécialistes artilleurs venus de Saint Pétersbourg se trouvent également à bord, il s’agit du colonel Schultz et du lieutenant Grigorieff.

Le commandant, le capitaine de vaisseau E. N. Golikoff est particulièrement expérimenté, courageux et talentueux.

Le capitaine de vaisseau E. N. Golikoff

Né en 1854 en Bessarabie, noble, orthodoxe, marié sans enfants. Il achève l’école navale de Saint Pétersbourg. Entre en service dans la flotte en 1871. De 1874 à 1877 navigue sur le croiseur Svetlana.

Prend part aux opérations de franchissement du Danube du premier équipage de la garde lors de la guerre russo-turque. En 1880 prend part à l’expédition d’Akhaltekinsk qui a eu lieu en Asie Centrale sous le commandement du général Skobelev. Il participe à la prise de la forteresse de Gueok-Tepe et remplace le commandant de sa batterie blessé.

Sert dans l’équipage de la garde sur les yachts Alexandria, Koroleva Victoria, Derjava, occupe la fonction d’officier de pavillon de la flottille Impériale de yachts et goélettes.

En 1886, il est affecté à la flotte de la Mer Noire. De 1886 à 1891, aide de camp du commandant de la flotte Petchouroff. De 1891 à 1903, commandant de la goélette Pezouape, du transport Donetsk, du cuirassé côtier Novgorod, du vapeur Eriklik, de la canonnière Ouralets, du navire-école Berezane.

Il sera nommé commandant du cuirassé Kniaz Potemkine Tavritcheski le 6 décembre 1903.

L’ingénieur mécanicien A. N. Kharkevitch décrit les officiers dans ses mémoires :

 « Je ne peux pas dire grand-chose de Golikoff, puisque c’était un homme qui communiquait peu et qui se tenait complètement à l’écart. Il était rarement invité au carré. Il était plein de retenu, plutôt sec dans ses rapports, il parlait peu et se manifestait peu sur le navire. »

Dans la Marine Impériale Russe, le commandant avait ses « appartements » et il ne pouvait se rendre au carré que sur invitation de son second et des autres officiers. Il se cantonnait dans « une tour d’ivoire » mais il pouvait inviter des officiers à sa table et c’était le second qui avait la lourde tâche de faire fonctionner le navire.

«  Guiliarovski était totalement son opposé. Nerveux, chaud, expansif, capable de s’enflammer à n’importe quel moment, il courait sur le navire comme un esprit agité, portant la lourde charge d’officier en second. En même temps, c’était un homme des plus délicats, d’une grande bonté, direct et sincère. Dans les moments d’énervement extrême, il perdait presque le contrôle de lui-même. Les membres du carré l’aimaient sincèrement, et puis parmi les hommes d’équipage il y en avait beaucoup qui lui étaient dévoués. Le connaissant assez bien dans un cadre privé, je peux dire que c’était un homme particulièrement intéressant, intelligent et instruit, un père de famille  parfait ». 

Le capitaine de frégate Guiliarovski

«Indiscutablement, les deux principaux spécialistes, Néoupokoeff et Tonne, étaient la crème du groupe d’officiers. Autant Tonne faisait preuve de retenu, se maîtrisait, faisait preuve de sang-froid, de self control et était proche du commandant, autant l’ardent et fougueux Néoupokoeff ressemblait au second…. L’équipage était bien disposé envers eux surtout envers Néoupokoeff. Nous avons appris par la suite que de nombreux matelots avaient peur pour le sort de Néoupokoeff lors de la mutinerie et voulaient le cacher mais ils n’eurent pas le temps de le faire. »

« Une certaine animation était apportée dans notre carré, à mon sens trop sérieux et plutôt ennuyeux, par Smirnoff, boute-en-train jovial, racontant anecdotes et plaisanteries. Smirnoff par sa position de médecin était proche de l’équipage. De plus, il prenait souvent part à leurs loisirs et distractions, à leurs jeux sur le gaillard d’avant, discutant avec eux de la manière la plus simple. C’est pour cette raison que je ne comprends pas la cruauté dont ont fait preuve les matelots par rapport à lui.

Je dois dire également deux mots concernant le mécanicien de cale Kovalenko[2], dont la vie s’est brisée de façon brutale après les événements du 14 juin. Il était gentil, incapable de faire du mal, débonnaire. Cependant, tout en lui était étranger à la situation car, au fond de lui-même, il était imprégné de l’esprit théorique spéculatif révolutionnaire qui était répandu parmi l’intelligentsia du début des années 90. La nature douce de Kovalenko, qui n’était pas dépourvu d’une fibre poétique, était incapable d’une action révolutionnaire mais sa sympathie était entièrement du côté du «peuple », qu’il ne connaissait absolument pas, comme toute l’intelligentsia révolutionnaire de l’époque. La personne la moins séduisante du carré était le lieutenant Alexeeff[3] qui avait été mobilisé dans la flotte. Il était insignifiant, un peu rustaud, absolument pas instruit, bête et indélicat. Le second a été dans l’obligation d’intervenir[4] à plusieurs reprises pour couper court ou donner une autre orientation à ses interventions. »

Il faut toutefois préciser qu’Alexeeff s’opposa au bombardement de Féodossia en entraînant dans son camp une partie de l’équipage.

[1] Nous l’appellerons par la suite le Potemkine.

[2] Que Kharkevitch connaissait bien puisqu’il s’agissait d’un camarade de promotion

[3] Kovalenko donnera un descriptif proche

[4] Dans la Marine Impériale personnage principal du carré était le second, le commandant ne s’y rendant que sur invitation.

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