LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

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A 11 heures le déjeuner est annoncé mais les matelots refusent de prendre les baquets pour servir le borchtch et on annonce au second, Guiliarovski, que l’équipage refuse de déjeuner. Il se rend alors auprès des hommes d’équipage et constate que l’équipage refuse la nourriture. Il en informe alors vers 11 heures 30 le commandant qui donne l’ordre de rassembler l’équipage sur le pont du gaillard d’arrière.

A cette heure, les officiers sont réunis dans le carré. Les deux médecins sont appelés sur le pont et le commandant demande à ce qu’ils confirment que la soupe est bonne. Le médecin Smirnoff s’exécute.

Le Commandant est excédé. Il s’agit pour lui d’une situation bien connue. En 1903 il commande le navire-école Bérézane, sur lequel sert également Matiouchenko et il se trouve face à une situation similaire avec pour meneur le même Matiouchenko. Il décide de crever l’abcès. Il fait monter la garde, menace de façon autoritaire de prendre un échantillon de soupe et de l’envoyer pour analyse au procureur et de punir les meneurs[1] puis donne l’ordre du rassemblement des officiers.

Les rassemblements sont du domaine de la routine et plusieurs officiers restent au carré, il s’agit de Gourine, Zaouchkevitch, Kovalenko et Tsvetkoff et de l’assimilé, le prêtre Parmene.

Le commandant donne ensuite l’ordre, à ceux qui acceptent de déjeuner, de se rassembler devant la tourelle du canon de 12 pouces.

A partir de ce moment les témoignages divergent et il est difficile de retracer les faits mais il semble qu’une centaine de matelots se rassemblent, dont Vakoulentchouk parmi les premiers[2]. Voyant que le plus grand nombre se désolidarisent du mouvement de contestation, les autres les rejoignent, petit à petit, dans le groupe de ceux qui acceptent de déjeuner. Guiliarovski tente alors de retenir les derniers, un groupe d’une trentaine qu’il considère être les meneurs, donne l’ordre de noter les noms puis il donne l’ordre d’apporter cette fameuse bâche contestée par les uns et citée par les autres.

L’existence de la bâche est contestée par de nombreux historiens qui affirment, s’appuyant sur l’autobiographie d’Eisenstein, qu’il s’agissait d’une idée saugrenue d’Eisenstein qu’il aurait prise contre l’avis de conseillers et de consultants. D’autres historiens la présentent comme un élément important qui déclencha les s qui suivirent.

Pourtant cette bâche est évoquée en 1907 par Kovalenko, qui n’a pas assisté à la scène,  mais qui écrit d’après le récit des matelots. Voici comment il décrit cette scène : « Lorsque le second donne l’ordre à haute voix au maître d’équipage d’apporter une bâche, quelques-uns des matelots, interprètent cela comme le signal que les camarades retenus de force sur place vont être fusillés après avoir été recouverts de la bâche.»[3]

On peut pourtant supposer que le second Guiliarovski considérait que l’incident était clos et qu’il avait donné l’ordre d’apporter la bâche pour que le repas se tienne en plein air.

Il faut préciser que fusiller un groupe de contestataires sans jugement était totalement exclu dans une logique d’officier de la marine de l’époque. Un officier ne pouvait donner un tel ordre, il aurait été jugé et condamné, d’ailleurs, on ne fusillait pas à bord des navires de la Marine Impériale.

La chaleur, l’alcool à jeun, la promiscuité à bord du navire en raisons des sureffectifs, le climat de nervosité cultivé par les contestataires et les menaces du commandant ont pu être les éléments déclencheur d’une mutinerie de quelques dizaines de matelots passés du côté de ceux qui acceptaient de manger le bortch et rendre la situation incontrôlable, propice aux règlements de compte[4].

D’après l’historiographie classique, des hommes d’équipage se précipitent alors vers les râteliers à fusils situés au niveau du pont d’artillerie pour s’armer. Le commandant donne l’ordre aux officiers de les en empêcher. Ils sont rejoints par Guiliarovski et Néoupokoeff qui sont repoussés à coups de crosse. Puis, un coup de feu retentit, le lieutenant Néoupokoeff est tué par Vakoulentchouk d’après le témoignage de Matiouchenko[5]  

Les mutins armés se précipitent ensuite sur le pont du gaillard arrière.

Ils sont accueillis à coups de fusils et plusieurs personnes tirent sur Vakoulentchouk dont Guiliarovski qui aurait alors saisi le fusil d’un des matelots de garde. Des mutins tirent à leur tour sur Guiliarovski qui est tué et son cadavre jeté par-dessus bord.

Des matelots se jettent à l’eau, d’autres leur tirent dessus.

Le commandant Golikoff se réfugie dans sa cabine avec Livintseff et Alexeeff, ils se déshabillent et s’apprêtent à quitter le navire à la nage. Livintseff saute à l’eau mais il est immédiatement abattu d’un coup de fusil. Le commandant est rejoint par plusieurs matelots qui l’exécutent. Le lieutenant Tonne se cache mais les mutins le soupçonnent de vouloir faire sauter le navire. On le cherche et on l’appelle.

Il se présente, s’oppose bravement au mutin et sera tué[6]. Son cadavre est jeté à la mer. Le lieutenant Grigorieff qui n’appartient pas à l’équipage tente de fuir à la nage et de rejoindre une des cibles[7] mail il sera tué par un tir de fusil.

Kovalenko saute à l’eau et rejoint un des radeaux des cibles.

La mitchman Vakhtine sera rossé et laissé pour mort, il réussira à se traîner sous la table du carré.

Le prêtre Parmene sera battu à coups de crosses de fusil.

Le médecin en chef Smirnoff sera jeté à la mer un peu plus tard alors que le navire fait route vers Odessa.

7 officiers seront tués : Golikoff, Guiliarovski, Smirnoff, Néoupokoeff, Tonne, Grigorieff et Livintseff. 4 hommes d’équipage périront également. D’autres échapperont à la mort par miracle. Plusieurs officiers mariniers seront poursuivis et copieusement rossés.

Le torpilleur 267 tente de lever l’ancre sans succès sous le tir des marins du Potemkine, puis après quelques tirs de canon de 47 et de 75, le baron P. M. Klodt Von Yourguensbourg décide de se rendre à bord d’une barque sur le cuirassé.

Le corps du capitaine de vaisseau Golikoff que l’on identifiera grâce à son kitel[8] et a ses décorations sera retrouvé avec une dizaine de blessures par balle ou de lame. Il sera inhumé le 29 juillet 1905 à Sébastopol et une foule accompagnera le cercueil recouvert de nombreuses couronnes.

Tous les officiers et officiers mariniers qui ont survécu au massacre sont mis aux arrêts.

Le Mitchman Makaroff qui acheta la viande faisandée, sera épargné. Avait t-on oublié la cause affichée de la mutinerie ?

On ira chercher Kovalenko avec une barque et il acceptera de composer avec les mutins.

Une réunion générale est alors convoquée et l’aspirant D.  Alexeeff sera nommé commandant du navire contre sa volonté. Les autres postes à responsabilité seront confiés, la partie mécanique à S. Denisenko, les mines et torpilles à A.Matiouchenko, le poste d’officier de quart à P. Kourilof, P. Volguine, F Korovianski, l’équipage à I. Dymtcheko.

Lors du procès, la justice de l’Empire s’attacha à démontrer les raisons politiques de la mutinerie, après la révolution de février, l’opinion publique adopta cette idée, et après le putsch d’octobre, le rôle de la pensée de Lénine fut évoquée dès les premières lignes mais à ce stade, il n’y a aucune revendication politique, ni aucun slogan politique.

Berezovski[9], un des trois mencheviks montés à bord juste après la mutinerie écrira :

« Il est notoire que la mutinerie du Kniaz Potemkine n’est ni un fait accidentel, ni un fait inattendu ; il s’agit d’une explosion partielle, avant terme, d’un plan d’envergure, pensé avec audace, il s’agit d’une insurrection générale qui devait enflammer d’un anneau brûlant toute la flotte russe de la Mer Noire.

Avec la prise des forteresses maritimes, la révolution russe aurait acquis une base inexpugnable pour des conquêtes ultérieures. En bombardant le rivage et organisant un débarquement des forces armées, elle aurait pu soulever tout le sud et de là se répandre sur le reste de ce grand état. »

Matiouchenko, aurait donc fait échouer un projet révolutionnaire d’envergure.

[1] Il menace de pendre aux vergues d’après certains témoignages, celui de Rakitine mentionne « Voyant que leurs réclamations n’ont раs produit l’effet attendu, que les officiers, au lieu de brusquer les choses et de punir ceux qui ont réclamé, procèdent au contraire avec calme et douceur »….

[2] Le cuirassé Potemkine. R. M. Melnikoff. Leningrad Soudostroenie. 1981. D’autres témoignages comme celui de Berezovski mentionnent que Matiouchenko avait rejoint les rangs de ceux qui avait accepté de manger le borchtch et que Vakoulentchouk était resté dans le groupe des protestataires. « 11 jours sur le cuirassé Kniaz Potemkine Tavritcheski ».

[3] A. Kovalenko périodique Byloe « Journal consacré à l’histoire de la libération », N° 1/13, janvier 1907 et 2/14, février 1907 Edition Schmidt, Saint Petersbourg.

[4] A. P. Syrov avait été degradé par Golikov pour bagarre. Il criera en lui tirant dessus « tu m’as dégradé, meurs… », le chauffeur Tchitcha crie « où est l’officier marinier Bordiouk », son supérieur. Matiouchenko et Vakoulentchouk tueront leur supérieur direct….

[5] mais il est également possible que Néoupokoeff ait été tué à coups de crosse en tentant d’empêcher les matelots de prendre des armes.

[6] Il y a au moins trois versions de la manière dont il a été tué.

[7] Des panneaux de tissus placés sur des radeaux.

[8] Veste militaire.

[9] De son vrai nom Brjezsovski auteur de « 11 jours sur le Potemkine » Saint Petersbourg 1907.

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