LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.

Les hommes d’équipage

Il y avait à bord 781 hommes d’équipage, bien plus que prévu. Cela s’explique par la présence d’appelés qui devaient remplacer les anciens non encore démobilisés. Parmi les hommes d’équipage il y avait douze officiers mariniers[1] des spécialistes qualifiés, profitant d’avantages par rapport au reste de l’équipage et ayant autorité sur ces derniers.

Les hommes d’équipage provenaient de trente-cinq provinces de Russie,   80 % soit 626, étaient des appelés[2], 2 % des officiers mariniers engagés, et 18 % d’entre eux n’ayant pas été identifiés à ce jour[3].

L’équipage identifié était constitué de « jeunes » matelots peu expérimentés. Il s’agissait de la première affectation pour la moitié d’entre eux. 67 % avaient entre 22 et 25 ans.

80 % d’entre eux étaient orthodoxes, 80 % russes, environ 70 % se disaient d’origine paysanne, 33 % étaient des « ouvriers », 33 % savaient lire et écrire, 18, 3 % savaient un peu lire et écrire, 32,9 ne savaient ni lire ni écrire. Il avait peu de citadins. L’interprétation de ces chiffres est toutefois difficile et on ne peut catégoriser les hommes d’équipage par catégorie socio-professionnelles puisque parmi ceux qui se définissent comme paysans, 45% seulement ont une activité véritablement liée à l’agriculture les autres étant charpentiers, cordonniers,…. vivant et travaillant à la campagne. Parmi les « ouvriers », 38 se disent matelots, 21 se disent pêcheurs, 1, jardinier et une catégorie regroupe ceux dont la profession n’est pas définie qui sont de 16 %. En outre, les illettrés étaient répertoriés tout au début du service militaire mais bon nombre d’illettrés apprenaient à lire pendant le service.

D’aprés l’historiographie soviétique, les lettrés provenaient majoritairement de la catégorie ouvrière et étaient affecté à la partie technique du navire. Sur le Potemkine[4] 250 personnes étaient affectés à la partie technique dont 50 % étaient lettrés. Dans cette catégorie 102 personnes provenaient de la classe ouvrière et 91 de l’agriculture. Cette théorie ne se vérifie pas par conséquent dans le cas du Potemkine.

Parmi les hommes d’équipage, 71 personnes étaient actifs dans la mutinerie soit 9%, 157 soit 20 % ont rejoint la mutinerie et une grande majorité de cette catégorie étaient des paysans.  37 soit 4,7 % y étaient opposés. 516 personnes se sont montrées passives soit 66 % de l’équipage. 21 membres de l’équipage ont fui le navire.

Parmi les « hommes d’équipage » ceux qui ont joué les rôles principaux sont indiscutablement Vakoulentchouk et Matiouchenko.

G. N. Vakoulentchouk, un appelé de la classe 1898, était un quartier-maître artilleur. Agriculteur, né en 1877 dans la province de Volynie, orthodoxe, célibataire, il ne savait ni lire ni écrire. On le présentera comme un bolchevique dans l’historiographie soviétique mais rien, absolument rien ne le prouve. On le présente aussi comme le premier tué alors que c’est lui qui tue son supérieur direct, le lieutenant L. K. Néoupokoeff, d’après le témoignage d’ A. N. Matiouchenko.

A. N. Matiouchenko, un appelé de la classe 1900 est un quartier-maître motoriste. Né en 1879 dans la province de Kharkoff, orthodoxe, célibataire, d’origine paysanne, sans profession, il savait lire et écrire. Il prend part à la réunion de préparation de l’insurrection de Sébastopol. Il restera politiquement inclassable malgré les nombreuses tentatives d’embrigadement qui suivront y compris celle de Lénine qui a failli se terminer par une bagarre entre un socialiste-révolutionnaire qui se trouvait là et Matiouchenko, et qu’il a fallu séparer[5]. Il critiquera vertement l’écrivain Gorki. En 1903 il sert sous le commandement du capitaine Golikoff sur le navire école Berezane et tente de fomenter une mutinerie en raison d’une mauvaise nourriture. Le commandant, alors, réussit à calmer l’équipage et l’autorité de Matiouchenko en souffrira. Il avait donc des comptes à régler avec Golikoff. Il sera cité en qualité de socialiste-révolutionnaire[6] par Lykoff, un ancien du Potemkine[7]

Conditions de vie à bord

Les hommes d’équipage, des paysans pour la plupart qui viennent d’être affectés sur le navire découvrent la mer et doivent faire face à un véritable choc culturel. Ils doivent apprendre à gérer temps et espace différemment. Ils ne connaissent ni le confinement extrême, ni un environnement bruyant et odorant, ni une gestion du temps minuté. La plupart n’ont jamais eu à s’adapter à des conditions de vie différentes. Ils se trouvent par conséquent privés de repères et sont particulièrement vulnérables et prédisposés à l’embrigadement.

Les autres conditions de vie à bord sont plutôt bonnes.

 Kovalenko écrira :

« Pour être juste il me faut reconnaître que globalement le matelot vit plutôt pas mal, au moins pour ce qui est de l’apparence. La nourriture de l’équipage est plutôt bonne. Comme de nombreux officiers lors des permanences sur les navires de guerre alors que ces derniers se trouvaient en réserve et que les officiers n’avaient pas leur table, je mangeais le borchtch des matelots avec plaisir. Il est vrai qu’il y avait des cas de mécontentement de l’équipage causés par des provisions, mais ils étaient rares et toujours le résultat d’une négligence accidentelle. Les matelots ne sont pas soumis à un travail difficile et le temps habituel de travail n’excède pas huit heures. Dans les rapports entre officiers et équipage petit à petit s’est instauré un ton, qui ne permettait pas un règlement de compte à coup de poing, mais les obligeait à respecter les limites de la correction »[8]

L’insurrection du sud de l’Empire Russe planifiée le 10 Juin 1905

Le 10 juin 1905 lors d’une réunion de marins organisée au tertre de Malakoff à proximité de Sébastopol, il est décidé d’initier un soulèvement de l’escadre de la Mer Noire lors des exercices prévus dans la baie de Tendra. Le signal sera donné par un coup de canon du Rostislav pendant le repas des officiers. Le but du soulèvement est bien ambitieux, il s’agit de déclencher un soulèvement révolutionnaire du sud de la Russie. Plusieurs marins du Potemkine assistent à cette réunion dont Matiouchenko.

Des signes avant-coureurs laissant présager le pire

La situation à bord est on ne peut plus inquiétante. Le 11 juin, 50 matelots demandent à quitter le navire et même le commandant, Golikoff, demande à être remplacé après avoir reçu une lettre anonyme. Cela lui sera refusé par l’état-major. Il débarquera alors une quarantaine de matelots suspectés d’être des meneurs avant de larguer les amarres le 12 juin. Au dernier moment, le mitchman Gnilossyroff déclare être malade et reste à terre ainsi que le mitchman, Tikhmeneff qui faisait partie d’une commission et était dans l’obligation de rester à terre. Il faut préciser que 300 membres d’équipage avaient déjà étés débarqués le 7 juin pour des raisons similaires et remplacés. Guiliarovski, reçoit également des lettres anonymes l’avertissant que des événements allaient se produire à bord.

[1] Sous-officiers

[2] Kardacheff « L’insurrection. Le cuirassé Potemkine et son équipage. » 2008.

[3] Ibid

[4] Chiffres Kardacheff « L’insurrection. Le cuirassé Potemkine et son équipage. » 2008.

[5] Souvenir de Lénine. N. A. Kroupskaya

[6] Que les bolcheviques massacreront de façon quasi systématique à partir l’été 1918

[7] Lykoff, « Les marins du Potemkine » Moscou 1965

[8] « 11 jours sur le cuirassé Kniaz Potemkine Tavritcheski », A. Kovalenko, périodique Byloe « Journal consacré à l’histoire de la libération », N° 1/13, janvier 1907 et 2/14, février 1907 Edition Schmidt, Saint Pétersbourg

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