LA MUTINERIE DU CUIRASSE POTEMKINE. LA MYSTIFICATION D’UNE TRAGÉDIE.
Le Potemkine à Odessa
Vers 16 heures le Potemkine ainsi que le torpilleur marchent vers Odessa. Ils jettent l’ancre vers 20 heures.
Une réunion se tient la nuit et décision est prise de s’approvisionner en vivres et en charbon, et d’organiser une cérémonie pour l’enterrement de Vakoulentchouk. Des membres du POSDR menchévistes se présentent à bord.
Le 15 juin, au petit matin, après la prière[1], on placera le corps de Vakoulentchouk sur une jetée dans une tente avec une inscription mentionnant qu‘il a été tué par le second pour avoir affirmé que le borchtch ne valait rien. Toute tentative des autorités d’enlever le corps se heurte à une opposition farouche et à des menaces. Les autorités tentent d’envoyer des représentants à bord du cuirassé mais ils seront repoussés.
Vers 9 heures un des marins, M. F. Khandyga, qui a fui le Potemkine, est interrogé par le chef de la police d’Odessa, le commandant M. P. Bobrovski, qui apprend l’événement et câble son compte- rendu à Saint Pétersbourg. L’Empereur Nicolas II est informé. Il écrira ce jour même dans ses notes : « Nouvelles sidérantes d’Odessa. Tout simplement incroyable. »
A la même heure, les marins du Potemkine s’emparent[2] du cargo Emerans et transbordent le charbon.
Ce matin même, des représentants du POSDR mencheviste, A. P. Berezovski/Kirill, O. I. Vinogradova, I. P. Lazareff, K. I. Feldman et d’autres montent à bord et c’est à partir de ce moment que l’événement prendra un caractère politique. Ils proposent aux marins de débarquer armés. Le comité constitué à bord Potemkine refuse[3]. Par la suite, les hommes d’équipage se désolidarisent les uns voulant marcher vers la Roumanie, d’autres voulant retourner se rendre à Sébastopol. Bérézovski prendra la parole lors d’une réunion générale et réussira à fédérer les marins autour de l’idée de libération du peuple. Les matelots choisissent finalement de ne pas débarquer mais de canonner Odessa.
Kovalenko écrira : « Alors qu’une partie de l’équipage, inspirée par les intentions les plus nobles était prête à n’importe quel sacrifice, l’autre ne pensait qu’à sauver sa vie et certains, était prêt à s’opposer au groupe conscient[4] à la moindre occasion ». Il estimera le nombre de « révolutionnaires » conscients à une centaine d’individus dont une cinquantaine de jusqu’aux boutistes. Il estimera à environ 70 le nombre d’opposants aux « révolutionnaires ». Kardachoveff estime à 71 le nombre de participants actifs à la mutinerie.
Vers 9 h 30 l’armée se met en mouvement et commence à encercler le port.
A Sébastopol, vers 11 h, sur ordre de l’amiral A. K. Krigger, une escadre se prépare. Il s’agit des cuirassés Tri Sviatitelia, Gueorgui Pobedonossets, Dvenatsat Apostolov, du contretorpilleur Khazarski, et des torpilleurs 255, 258, 272, 273.
Un peu après 11 heures, le Potemkine arbore le pavillon rouge. Ce pavillon n’est en aucun cas à l’époque un drapeau révolutionnaire mais un drapeau de signalisation qui signifie je tire, je charge ou décharge des munitions.
Vers 16 heures profitant du désordre et de l’absence des forces de l’ordre au port, des éléments incontrôlés pillent les entrepôts.
A la même heure le secrétaire du comité du POSDR bolchévique d’Odessa informe par lettre Lénine qui se trouve à Genève des événements et de l ‘opportunité de créer un gouvernement révolutionnaire provisoire[5].
Vers 17 heures les troupes ont achevé le mouvement et sont positionnées autour du port
Vers 18 heures, les marins du Potemkine s’emparent du navire de service Vekha à bord duquel se trouvaient Madame Guiliarovski et sa fille qui allaient rendre visite à leur mari et père. Elles seront reconduites à terre. Les officiers du Vekha sont arrêtés. Le Vekha sera utilisé par les mutins en qualité de navire hôpital.
Vers 21 heures le comité du Potemkine se réunit et décide en cas de rencontre avec l’escadre de ne pas ouvrir le feu les premiers, de libérer les officiers du Vekha et ceux du Potemkine. On libère les officiers du Vekha immédiatement, ceux du Potemkine seront libérés le lendemain à 9 heures du matin. Seuls expriment leur désir de rester à bord le lieutenant A. M. Kovalenko, le sous-lieutenant P. V. Kolioujnov et le médecin en second A. S. Galenko qui ne voulait pas abandonner les malades et les blessés à bord. Un peu plus tard, Alexeev et Kolioujnov changent d’avis de façon catégorique, supplient Kovalenko d’intervenir auprès des mutins pour les laisser partir. Kovalenko déteste Alexeev et fait de son mieux pour le faire débarquer mais les autres mutins refusent. Alors que le Potemkine se prépare au combat, Galenko laisse le cuirassé sans médecin et rejoint le Vekha avec ses patients et son matériel.
Les officiers mariniers sont également libérés mais doivent rester à bord pour assumer leur tâche sous peine d’être fusillés.
Le comité qui dirige le navire est décrit par Kovalenko comme composée d’une vingtaine de marins et de trois civils, les étudiants Feldman et Kirill/Bérézovski et d’un inconnu. Il s’agit d’un ouvrier nommé Boris, qui quittera le navire le lendemain[6].
Vers 22 heures des désordres sans précédent se déroulent au port, des pillages. De nombreux bâtiments, des wagons, des entrepôts, pas moins de 6 navires sont incendiés. Les dégâts sont très importants. L’armée intervient et tire. Il y a de nombreux morts, des blessés par balles et des brûlés dans les incendies. Kovalenko évoquera des rassemblements parmi lesquels se trouvaient des agitateurs.
L’escadre à Sébastopol largue les amarres et marche vers Odessa sous le commandement de l’amiral F. F. Vichnevetski.
Des négociations concernant l’enterrement sont menées entre les mutins et le commandement militaire. Douze hommes d’équipage, non armés, sont autorisés à accompagner le défunt. L’office sera célébré par le père Iona (I. M. Atamanski)[7] dans l’église Saint Nicolas de la Quarantaine. Le saint homme n’hésitera pas à tancer vertement les mutins à genoux. Le cortège évoqué dans la plupart des sources comme immense sera décrit alors qu’il passait sous le balcon du frère de l’écrivain V. G. Korolenko, I. G. Korolenko[8], comme composé de quelques dizaines de personnes.
Trois des accompagnants manqueront à l’appel au retour.
Vers 17 heures l’escadre de Vichnevetski arrive à proximité de Tendra.
Vers 17 heures 30 le Potemkine tire deux obus sur la ville. Un bombardement irresponsable puisque l’on tire avec des canons qui servent pour la première fois et qui ne sont pas réglés. D’après certaines sources un des obus tombe sur la maison de l’oncle de Feldman.
La population commence à évacuer la ville.
Vers 20 heures une seconde escadre sous le commandement de l’amiral Kriguère, composée des cuirassés Rostislav, Synope et de trois torpilleurs quitte Sébastopol et marche vers Odessa.
Des émissions radio de l’escadre de Vichnevetski sont captées à bord du Potemkine. Au petit matin le Potemkine lève l’ancre.
Le 17 juin
Vers 8 heures l’escadre de Vichnevetski approche, le Potemkine marche vers l’escadre qui s’efface et le Potemkine revient dans la rade d’Odessa. Vers 10 heures, l’escadre de Kriguère rejoint l’escadre de Vichnevetski. L’amiral Kriguère s’informe de la situation. Vichnevetski explique qu’il n’a pas donné l’ordre de tirer afin de ne pas atteindre la ville.
Vers 11 heures, les deux escadres marchent vers Odessa et le Potemkine fait route à nouveau vers les escadres. Vers 12 h 50, le Potemkine passe entre les navires et le cuirassé Tri Sviatitelia dévie de sa trajectoire afin de le laisser passer.
Soudain, l’équipage du cuirassé Guéorgui Pobedonossets acclame l’équipage du Potemkine, quitte les postes de combat, s’arme et menace les officiers, puis les mutins se rendent maîtres de la timonerie et arrêtent le navire.
L’amiral Kriguère demande que des représentants du Potemkine se rendent sur le Rostislav pour mener des négociations mais aucune réponse ne parvient du Potemkine.
Vers 14 heures, on informe l’amiral que la mutinerie s’est étendu au cuirassé Gueorgui Pobedonossets et que l’équipage veut rejoindre le Potemkine. L’amiral donne l’ordre de mettre le cap sur Tendra. Le Potemkine et le Guéorgui Pobedonossets mettent le cap sur Odessa.
Vers 15 heures, des marins du Potemkine se rendent sur le Gueorgui Pobedonossets pour aider les mutins. Lors de l’arrestation des officiers, le lieutenant K. K. Grigorkoff se suicide mais à la différence du Potemkine, il n’y aura pas de massacre sur le Guéorgui Pobedonossets.
Les deux escadres arrivent à Tendra et les deux amiraux se concertent. Ils craignent que la mutinerie ne s’étende à d’autres navires et décident de rejoindre Sébastopol.
Vers 16 heures, les officiers du Gueorgui Pobedonossets sont libérés et débarqués à proximité d’Odessa.
Vers 17 heures, les deux cuirassés entrent dans la rade d’Odessa.
A bord du Potemkine, les deux équipages se réunissent et l’exaltation est à son comble
Vers 19 heures, un message de l’amiral Kriguère est reçu sur le Potemkine avec le contenu suivant : « L’amiral diligente un torpilleur avec un officier et un prêtre pour négociation avec l’équipage ». Le torpilleur 272 approche les deux cuirassés et propose aux équipages de se rendre. Le Potemkine répondra : jamais. Le 272 rejoint l’escadre.
Lénine à Genève s’active, il diligente un représentant du comité central du POSDR, M. N. Vassiliev-Youjine. En cas de réussite de l’insurrection, il se propose d’y prendre part et demande qu’on lui diligente un torpilleur en Roumanie pour venir le prendre. Vassiliev-Youjine arrivera sur place trop tard et Lénine devra attendre avril 1917 pour que l’état-major allemand lui organise son voyage de retour en Russie dans un wagon plombé.
[1] « 11 jours sur le cuirassé Kniaz Potemkine Tavritcheski », A. Kovalenko périodique Byloe « Journal consacré à l’histoire de la libération », N° 1/13, janvier 1907 et 2/14, février 1907 Edition Schmidt, Saint Petersbourg
[2] Kovalenko écrira que l’équipage l’avait acheté. Ibid.
[3] Kardacheff. L’insurrection. Cuirassé Potemkine et son équipage. OAO Dom Petchati Viatka, Moscou 2008
[4] Révolutionnaire
[5] Kardacheff. L’insurrection. Cuirassé Potemkine et son équipage. OAO Dom Petchati Viatka, Moscou 2008
[6] « 11 jours sur le cuirassé Kniaz Potemkine Tavritcheski », A. Kovalenko périodique Byloe « Journal consacré à l’histoire de la libération » , N° 1/13, janvier 1907 et 2/14, février 1907 Edition Schmidt, Saint Petersbourg
[7] Un saint homme dont on cite les nombreux miracles
[8] Un opposant au « régime tsariste » maintes fois déporté