MEMOIRES D’UN OFFICIER DE LA MARINE RUSSE DANS LA TOURMENTE REVOLUTIONNAIRE D’IVAN ROSOFF. DE PETROGRAD A BIZERTE.
Le titre initial des mémoires était : Les carnets du mitchman1Note PL : premier grade d’officiers de la Marine Impériale, il correspondrait au grade de la Marine française « enseigne de vaisseau de 1ère classe ». Rosoff de la 3ème compagnie des classes spéciales2Note PL: il s’agissait d’une formation accélerée « du temps de guerre » d’une durée de 3 ans de gardes-marine.3Note PL : c’était le premier grade attribué aux élèves-officiers après formation. Il était donné aux élèves des classes supérieures de l’École Navale. A la sortie de l’École Navale les gardes-marine étaient promus gardes-marine de vaisseau. Les gardes-marine de vaisseau embarquaient pour une longue croisière de formation pratique à l’issu de laquelle ils passaient un examen et accédaient au grade de mitchman, le premier grade d’officier de la Marine Impériale.
PREFACE
Ce document est un précieux témoignage d’un officier de la Marine Impériale, le journal d’un long périple dans une Russie déchirée par la guerre civile pendant une période particulièrement trouble, qui le mènera de Saint Pétersbourg à Bizerte, de sa patrie à l’exil, d’une carrière dans la Marine au déclassement social.
ALEXIS ROSOFF, le neveu d’Ivan Rosoff, a su conserver, se passionner, traduire et transmettre les souvenirs de son oncle, Jean (Ivan) Rosoff, qu’il a trouvés dans les papiers familiaux sous forme d’une liasse de feuillets dactylographiés en russe accompagnée de manuscrits et d’un album de photos.
Nous avons essayé au mieux de respecter l’esprit du travail d’Alexis Rosoff, toutefois les illustrations ne pouvant être reproduites ont été remplacées par des illustrations quelquefois différentes représentant le même sujet. Des notes explicatives ont été ajoutées.
Voici les commentaires d’Alexis Rosoff :
« J’ai travaillé sur 3 documents : un petit carnet, écrit au crayon , visiblement le vrai carnet de route, puis sur un manuscrit en deux épais cahiers, écrit probablement dans les années 50, puis sur un texte dactylographié avec un vieille machine, sur du papier pelure, avec des lettres allant jusqu’au bord du papier, parfois presque illisibles, que j’ai eu beaucoup de mal à scanner puis passer en OCR. J’ai remarqué parfois des redites, et aussi pas mal de détails visiblement des embellissements inventés. Mais l’ensemble me parait sincère même si tout n’est pas historique.
Depuis août 1914, la France et la Russie étaient en guerre avec l’Allemagne. Des milliers de jeunes patriotes russes, issus généralement de familles bourgeoises, de familles de fonctionnaires, des familles d’intellectuels ou de militaires, s’engagèrent dans l’armée en qualité de Volontaires pour défendre «l’Empereur, la Patrie, la Foi, » (за Царя, За Родину, за Веру).
A sa sortie du Lycée, mon oncle Ivan Rosoff, âgé de 17 ans, choisit la Marine. Son frère Fédia (mon père) choisit l’Artillerie.
Ce qui suit est la version française des carnets de route d’Ivan, racontant son « Odyssée » de septembre 1915 à mai 1921,
Je dis bien « la version française » et non la « traduction française » : j’ai pris des libertés dans la traduction de nombreuses expressions, j’ai supprimé des passages qui me paraissaient inutiles, soit par leur technicité, soit parce qu’ils n’apportaient rien au suivi et à la compréhension de l’évolution de l’état d’esprit d’un jeune homme, quittant pour la première fois la maison familiale, pour entrer dans la vie adulte par la voie de l’instruction militaire. Cette formation lui apprit, entre autres choses, la discipline, la solidarité, le devoir envers la patrie et la dure vie des marins. Il découvrit des mondes dont il ne soupçonnait pas l’existence et assista en spectateur à Petrograd aux bouleversements de la Révolution dite « Révolution Non Sanglante » de 1916. En permission à Ekaterinoslav, il prit part à la lutte contre les dissidents d’extrême-droite qui avaient pris le Pouvoir en Ukraine pour l’entraîner dans la voie de l’indépendance. Dans une marche avec un millier de militaires, il parcourut 400 km, en guerroyant contre les dissidents et les bolcheviques, pour rejoindre l’Armée Blanche en Crimée. Finalement, avec les restes de l’Armée Blanche et de la Marine Impériale, il fut évacué à Bizerte, en Tunisie, où la Marine Impériale Russe fut désarmée.
Par un heureux ou curieux hasard, la présente version française du 1er chapitre a été rédigée, à quelques jours près, 100 ans après la dernière des dates mentionnées dans les dernières lignes de son dernier carnet (21 mai 1921 !)
Alexis Rosoff, 21 février 2021. »
CHAPITRE 1. PREMIERE CAMPAGNE DE NAVIGATION DU 15 SEPTEMBRE 1915 AU 31 MARS 1916.
La liste des reçus aux examens a été lue dans la grande salle de cours le 15 septembre 1915. J’étais dans cette liste.
Ce jour là on nous informa qu’au début d’octobre, nous allions partir à Vladivostok pour une campagne de navigation outremer.
Cela était une bonne nouvelle mais impliquait une longue séparation avec nos familles et nos amis. Fin septembre il y eu une petite revue à laquelle assistait la Direction de l’école. On attendait le ministre mais il ne vint pas.
Le 2 octobre on nous donna le paquetage. Le matin après avoir rangé nos affaires nous assistâmes à un petit service religieux d’action de grâces en présence du Ministre de la marine, l’Amiral Grigorovitch.
Après nous a partîmes à la gare de Nikolaev où nous attendait un train qui quitta la gare au son de nos Hourras !
En route vers Vladivostok par le transsibérien du 2 au 15 octobre 1915.
4Note PL : Accompagnés du responsable, du capitaine de frégate A. A. Vorobieff, de 3 officiers, de 9 sous-officiers et de 13 employés. Il s’agit de la promotion 1919. (Sources: Les gardes-marine de Vladivostok. N. N. Kritski, A. M. Bouiakoff) (voir liste en annexe)
Tout est nouveau et étrange dans la vie selon le règlement de la Marine : les activités, les cours, les services, les quarts, les déjeuners et les dîners, tout cela avec la vue de la magnifique nature de notre Patrie qui nous était si nouvelle.
Ce kaléidoscope vivant nous donnait le tournis. Sans nous rendre compte, par un processus intérieur nous faisions le passage de l’enfance à la vie adulte.
Naturellement il y avait l’acquisition de la conscience du service à la Patrie, du sentiment de camaraderie, de la subordination et je dirais de la chevalerie.
Et particulièrement entrait dans notre esprit la phrase de notre chef d’équipe résumant du règlement de Marine : « Aide ton camarade à sortir du malheur, ne fait pas de mal aux gens pacifiques, souffre de la faim et du froid »
Aux yeux de nos chefs expérimentés il était impossible de ne pas remarquer les changements qui se sont faits dans nos esprits. Ainsi, progressivement notre enfance restait derrière, devenait un cher passé, laissant la place au sérieux et à la maturité.
Malgré le fait que n’avons pas encore « humé » la mer, le sentiment que nous étions dans un train nous menant vers un futur héroïque, nous conduisait, lors des haltes, à marcher en « chaloupant » comme des vieux loups de mer.
Malgré que nous fussions encore sur terre, en nous consacrant à la mer nous nous imprégnions avec joie des traditions maritimes.
Vladivostok 14 décembre 1915.
Le train arriva aux environs de trois – quatre heures du matin. Vers 11 heures, la troisième compagnie, de gardes-marines sortit de la gare aux sons de la musique des Equipages de la Flotte de Sibérie de Vladivostok.
Nous marchions le long de la rue principale de la Vladivostok. En chemin nous fûmes accueillis par le commandant du port, le contre-amiral Rimsky Korsakoff.
Nous montâmes sur le croiseur à environs de midi. Notre croiseur « Orel »5Note PL : Croiseur auxiliaire : il s’agissait d’un navire rapide, de transport de passagers ou de marchandises, que l’on armait en temps de guerre. L’Orel était un navire de transport mixte (passagers et marchandises) commandé en 1908 à la société allemande F. Schichaupar la société Dobrovolni Flot. Cette société avait été créée en 1878 et avait été financée par des dons. Elle était contrôlée par le gouvernement russe et possédait des navires rapides qui pouvaient être utilisés en qualité de croiseurs auxiliaires ou bien assurer la logistique militaire. L’Orel avait été réquisitionné en 1914 et armé de 2 canons de 120 mm, 2 canon de 75 mm, 4 canons de 47 mm. Son équipage était composé par 11 officiers et 123 grades subalternes. Déplacement 3462 t, 102,6 m de long, 13,8 m de large, vitesse 16 nœuds. mouillait à côté de la berge et on sut plus tard que nous sommes arrivés un petit peu trop tôt car on commençait seulement la remise en état du navire. On nous installa sur deux ponts d’habitation et dans quelques cabines : j’ai eu la chance d’avoir la cabine numéro huit.
Vladivostok du 15 octobre au 8 novembre 1915.
Par paresse, je n’écris pas tous les jours dans mes carnets. Je vais essayer de décrire en résumé notre vie à Vladivostok. Le lever à 6h30 du matin, le coucher à 10 heures du soir. Entre les quarts, les exercices et les études, y avait peu de temps libre.
Une fois par semaine, parfois deux, nous allions à terre. On nous libérait de midi à 9 heures et nous nous promenions très fiers notamment avec des jeunes filles.
Le 21 octobre il y eu la cérémonie de prestation de serment sur le navire de transport « Xenia »
La veille, c’est-à-dire les 20 octobre, nous observâmes une vieille tradition maritime de «l’enterrement de la vie civile». 6Note PL : Il s’agissait le plus souvent de la cérémonie de mise en bière d’un mannequin qui représentait la vie civile et que l’on déchirait à coups de baïonnettes à la fin de la cérémonie. Cela se passait très bien, en secret par rapport au commandement du navire (en réalité le commandant et l’officier supérieur le savaient très bien, car de leur temps eux aussi avaient passé par cette cérémonie).
Après, nous autres les gardes-marine, n’étions plus des civils.
À partir du 30 octobre nous avons commencé les cours de « chaloupes » et nous apprenions à ramer dans la rade de Vladivostok. C’était très intéressant.
Le 1er novembre le navire parti en navigation d’essai pour la définition de la déviation magnétique du compas. Chaque sortie durait plusieurs heures.
Départ de Vladivostok le 8 novembre 1915.
Il y eu un service religieux auquel étaient présents l’Amiral, les officiers et de nombreux invités dont de nombreux invités de l’extérieur.
Note PL : Officiers du croiseur auxiliaire : 7Note PL : Il s’agit là des officiers affectés à ce navire en 1914. Nous avons eu la confirmation de la présence de certains d’entre eux à bord pendant la campagne de navigation, les noms des autres sont suivis d’un point d’interrogation. (Sources : Les gardes-marine de Vladivostok. N. N. Kritski, A. M. Bouiakoff) commandant : le capitaine de vaisseau P. P. Vinokouroff (?),8Note PL : Pavel Pétrovitch VINOKOUROV, né en 1881. École Navale 1900. Capitaine de frégate. Dans les FASR et l’Armée russe; au printemps 1920, commandant du port de Tuapse, puis en Crimée. Capitaine de vaisseau. Évacué de Sébastopol sur le cuirassé “Guénéral Alexeev”. En Yougoslavie à l’été 1921 puis émigre à Belgrade en 1934 puis en Allemagne en 1949. Décède en 1949 à Port Saïd, alors qu’il voyageait vers l’Australie (Source S. V. Volkoff). second : le lieutenant de vaisseau Petroff, chefs de quart : mitchman Pachkoff, mitchman Oustimovitch (?), mitchman Boulachevitch (?), navigation : lieutenant Ouchakoff, l’ingénieur-mécanicien K. A. Totchinski9,Note PL : Totchiski Kaetan Antonovich, né en 1884. École d’ingénieurs navals, 1909. Lieutenant de vaisseau, ingénieur-mécanicien de la Flottille sibérienne. Il rejoint l’armée blanche du front de l’Est ; le 30 juin 1918, il rejoint la flottille sibérienne (Source S. V. Volkoff). officier artilleur Gnida (?)10Note PL : Gnida Vladimir Dmitrievich, né le 23 mars. 1885. Ecole navale, 1905. Lieutenant de vaisseau, commandant de la flottille sibérienne par intérim. En exil en Chine. Mort le 28 février 1934 à Shanghai (Source S. V. Volkoff).
Le responsable du détachement de gardes-marine était le capitaine de frégate Vorobioff,11Note PL : Alexandre Apollonovitch Vorobieff : né le 11 (14) août 1881 à Saint-Pétersbourg. Fils d’un général, originaire de Novgorod.
Il est diplômé de l’École navale en 1902. Mitchman. Participe à la défense de Port Arthur. Enseignant en astronomie et mathématiques à l’École Navale de Saint-Pétersbourg
Marié et père d’une fille et de deux fils. Le 6 décembre 1914, il est promu capitaine frégate pour excellence. En 1915, dans les Classes spéciales de gardes-marine. Naviguait sur le navire-école “Narva” en 1917 puis reste à Sébastopol. Depuis octobre 1919, il était professeur de géographie, d’astronomie et de mathématiques à l’École Navale de Sébastopol.
Depuis juin 1920, commandant de la section mixte du corps des gardes-marine à Sébastopol. Évacué avec la flotte vers Bizerte. Le 25 mars
1921 – dans l’Escadre russe. Jusqu’en 1925, professeur et bibliothécaire de l’École navale.
Après la fermeture de l’École navale, il a travaillé à la ferme Montero, a travaillé dans l’apiculture. Plus tard, il a travaillé au bureau de poste des douanes du port de Tunis. Il parlait français et anglais. En 1936, il a reçu la nationalité française, a été naturalisé le 1er mai 1936. Quitte la Tunisie en 1956. Membre du Cercle de la marine de Paris. A participé à la collection “Port Arthur” (mémoires des témoins) qui a été publiée à New York en 1965. Décédé le 8 septembre 1965 à Angers (France). Il a été inhumé au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois. (Sources : Forum Kortic http://kortic.borda.ru/). Figurent également sur la photo le lieutenant de vaisseau Petroff, le mitchman Kouchké12Note PL : Kouchké Théodore Théodorovich (Fiodor Fiodorovich), né en 1893. École d’ingénierie navale 1914. Mitchman, ingénieur-mécanicien de la Flottille sibérienne. Rejoint l’armée blanche du front de l’Est ; le 30 juin 1918 dans la Flottille sibérienne. Lieutenant. Lors de l’évacuation en 1922, il est resté à Vladivostok. En exil en Lettonie, il est arrêté par le NKVD en 1940 et déporté en URSS. Eoussoff et Kadichko.
Ce jour-là j’étais de quart de huit heures jusqu’à midi. Jusqu’à 10 heures j’étais signaleur, après j’étais dans la cale à charbon.
La météo était bonne et avec des hourras de notre équipage debout sur le pont, nous passâmes le long de la division de torpilleurs et d’autres navires qui étaient dans la rade, puis nous sortîmes en pleine mer. Adieu Vladivostok !
La mer est relativement calme, jusqu’à présent je n’ai pas eu de mal de mer. Nous verrons bien comment cela sera ce soir. Le soir la mer grossit quelque peu. Je ne peux pas dire que je me sentais comme un héros, mais certains étaient bien malades
A l’avant du navire il y eu un petit incendie, vite éteint.
Bon, c’est assez pour l’instant, bientôt le signal de la prière et ensuite on dort.
Dans la Mer du Japon, 9 novembre 1915.
Tôt le matin, le temps est beau. On se lève comme d’habitude six heures du matin pour observer le lever du soleil. Vue grandiose du lever du drapeau, et puis au signal « à la gymnastique », nous courons tous sur le pont supérieur. Ensuite nous allons tous au cours. Aujourd’hui nous avons un professeur remplaçant, le mitchman Tikhvinski13Note PL : Tikhvinsky Vladimir Aleksandrovitch, né en 1897. École navale 1915. Mitchman de la Flottille sibérienne. Rejoint l’Armée blanche du front de l’Est ; le 30 juin 1918, fait partie de la Flottille sibérienne. (Source S. V. Volkoff). Il est encore jeune et timide, fraîchement promus mitchman, il y a à peine trois mois.
Nous allons étudier le règlement de la Marine et la terminologie, puis nous allons prendre connaissance avec les différents endroits du navire pour en connaître la désignation.
A midi, le dîner, puis nous continuerons les mêmes sujets jusqu’au soir avec en plus les cours de langue française.
Aujourd’hui la quatrième section doit prendre le quart à minuit jusqu’à quatre heures du matin
Cette nuit était extraordinaire.
J’étais de garde sur la dunette arrière ; j’avais un peu le mal de mer. Au début je pensais que j’allais vomir, mais au bout de quelques temps je me sentis mieux. A 4 heures et il y eu la relève. A 6 heures nous devons arriver à Pusan.
Finalement les Autorités portuaires vinrent pour nous présenter leurs respects et demander de les renseigner sur nos plans de route, si nous resterons longtemps le port etc. ?
A cause de problèmes de chaudière nous dûmes y rester plus de temps que prévu.
Dans la journée le temps s’est éclairci mais la météo devint mauvaise le soir, il a commencé à pleuvoir. Pour la nuit, tous les huit canons furent chargés car il n’est pas impossible que des Allemands apparaissent. Allons cela suffit pour ce soir !
Pusan (Corée), le 10 novembre 1915.
Comme prévus nous arrivâmes à Pusan à six heures du matin. Le temps était couvert. Ici le climat est très différent de celui de Vladivostok. La vue de la ville de Pusan était sympathique. De trois côtés la baie était protégée par des montagnes avec beaucoup de végétation.
Ici à l’entrée il y avait deux phares, très beaux et originaux. Dans la rade il y avait plusieurs navires de commerce et un torpilleur japonais.
A peine étions nous arrivés que nous nous trouvâmes entourés quantité de sampangs remplis de Coréens et de Japonais qui proposaient à à la vente diverses marchandises, surtout des friandises. L’insistance de ces marchands était telle qu’il fallut mettre en marche des manches d’arrosage pour les éloigner.
Pusan le 1er novembre 1915 .
Météo affreuse – brouillard. Il tombe tout le temps une petite pluie, de temps en temps le vent se lève – mais il fait chaud ! Rien de spécial ne s’est passé cette journée. Les études suivent leur cours. Aujourd’hui j’étais quart, totalement trempé par la pluie. Nous, les gardes-marine, nous n’avons pas été autorisés à descendre à terre : nous irons probablement samedi ou dimanche, ce que nous attendons avec impatience.
Pusan le 2 novembre 1915.
Le temps est couvert mais il n’y a pas de pluie. Le vent souffle, on espère que le temps changera. Mais les études suivent leur cours, aujourd’hui on nous a appris comment mettre les voiles.
Midi le temps s’améliore mais le soir il recommence à faire mauvais.
Pusan le 13 novembre 1915.
Le matin est ensoleillé, pendant deux heures, cours de chaloupe et l’après-midi nous laissa aller à terre. Ici, le cours de notre monnaie très faible, pour un rouble on nous donna 68 ¥ japonais. La ville de Pusan est grande, et à nos yeux très différente de toutes les villes que nous avions vues : à part quelque petites maisons, la majorité des bâtiments est du style oriental. La population est très varié, des Japonais beaucoup de Coréens quelques Chinois quelques Français et quelques Anglais. Dans la ville la propreté est relative sauf dans les grandes rues, les autres rues sont très étroites et sales. Les chaussées sont bonnes ici et il y a une ligne de tramway et une gare de chemin de fer.
Nous n’avons pas eu de chance pour changer la monnaie russe car, comme par hasard, toutes les boutiques spécialisées étaient fermées. Ainsi, nous n’avons pratiquement rien pu acheter. Plus tard, nous avons quand même eu la chance d’acquérir quelques cartes postales locales.
En gros nous avons marché dans la ville sans aucun enthousiasme : ce qui nous a frappés c’est que personne ne nous comprenait : quand nous nous approchions de quelqu’un avec une question, il vous regardait avec un air perdu. Finalement cela commença à nous énerver. Il est même arrivé qu’à une question on nous répondait avec des jurons russes.
A occasion du jour du couronnement de l’empereur japonais, il y eut des processions et des manifestations festives. Nous en avons vu une. Le soir la ville était très animée. Partout dans les rues il y avait des « bateaux » marchands avec des lampions colorés. Ici on pouvait obtenir tout depuis les gourmandises jusqu’aux produits de première nécessité. En chemin nous entrâmes dans un restaurant. On a fait comme on a pu, pour payer avec l’argent russe, puis nous somme rentrés chez nous, sur le croiseur, quelque peu échauffés par le vin.
Pusan (un triste événement), 14 novembre 1915.
Il y eu un malheur. Après le lever, juste avant le thé il y eut une explosion dans le canon bâbord de 120mm : une personne fut tuée, le chef de pièce d’artillerie Erochev, et deux marins légèrement blessés.
Voilà ce qui s’est passé : juste avant le thé nous entendîmes une forte explosion et dans le mess on vit tomber des morceaux de verre provenant du hublot donnant sur le pont supérieur ; j’ai même eu l’impression de voir une flamme.
Notre première idée fut qu’un bateau allemand est entré dans le port et que nos canons lui ont tiré dessus. Nous sortîmes immédiatement par curiosité car en réalité nous n’avons pas eu de peur.
Prenant ma casquette j’ai couru sur le pont supérieur. D’autres camarades ont pensé qu’il y a eu explosion d’un obus et que maintenant d’autres vont éclater dans la cale a munitions et que devant une mort inévitable il était inutile de courir.
Là haut je vis un spectacle affreux : presque toute la dunette arrière était couverte de sang, à gauche il y avait une jambe humaine, et partout des morceaux de chair ensanglantés.
Tous les officiers sortirent en hâte : la première question du lieutenant de vaisseau Petrov fut : y a-t-il des victimes parmi les gardes-marine ? Ayant reçu une réponse négative il ordonna à quelques rameurs de prendre la chaloupe pour ramener le corps de l’officier mort.
En effet le corps du malheureux Erochev fut rejeté à droite par dessus le bastingage tribord. Ayant traversé le pont j’ai vu flotter dans l’eau le tronc, couvert de brûlures, sans jambes et sans mains mais avec la tête.
Nous étions comme figés au sol devant le spectacle de la victime de ce malheureux accident.
Ce corps déchiqueté fut monté sur le pont et couvert par une bâche, fut posé à côté du drapeau de Saint André avant du bateau. Je pense que moi et les autres ont eu la même pensée au destin malheureux qui le touche aujourd’hui, et peut-être moi demain.
Il y eut un incendie vite éteint sur la dunette arrière. L’explication de l’accident était que le chef de pièce Erochev était en train de nettoyer le canon qui était resté chargé car il n’y eu pas ce matin d’ordre de d’annuler l’alerte. Ce faisant Erochev toucha une pièce qui produisit l’explosion.
Probablement le dispositif de sécurité du canon avait été mal enclenché. La plus grande partie du gaz fut éjectée vers l’arrière tandis que l’obus sorti du canon, vola sur un ou deux miles.
Heureusement, le canon n’était pas orienté vers la ville de Pusan sinon il y aurait eu des victimes.
Les obsèques du malheureux Erochev se feront à Nagasaki. L’administration du port de Pusan arriva très vite pour se faire expliquer les raisons de l’explosion. Ils pensaient que nous avions tiré sur des Allemands.
Arrivé à Nagasaki le 15 novembre 1915
Dans la nuit du 14 aux 15 nous avons passé devant Tsushima. De la mer on ne voyait pas Nagasaki car la ville est disposée au bout d’une baie longue et étroite. On dit que nous lèverons l’ancre aujourd’hui.
Nous partîmes à six heures pour une traversée d’environ 15 heures jusqu’à Nagasaki.
Au fur et à mesure de notre approche de Nagasaki on voyait un très joli paysage, des montagnes couvertes de forêts verdoyantes. Arrivée à Nagasaki à 11 heures du matin. Immédiatement nous fûmes entourés par de nombreux sampangs remplis de commerçants japonais et de missionnaires ?!
Dans la rade il y avait de nombreux « commerçants » (dans le jargon marin le mot « commerçant » désigne les navires de commerce de diverses nationalités) et un peu plus loin on voyait une canonnière italienne et une japonaise, et un peu plus loin encore, une canonnière américaine.
Ce jour-là seul le premier quart fut admis à descendre sur la côte, car ce premier quart n’était pas sorti à Pusan. Ce jour-là on autorisa des marchands japonais à monter sur le pont.
J’ai acheté quelques bricoles japonaises. Il faut marchander tout le temps, les Japonais sont des « voleurs » !
Nagasaki (obsèques de Erochev) 16 novembre 1915.
Le matin était ensoleillé. À huit heures je pris le quart en tant que « signaleur ».
Les obsèques auront lieu vers midi. Le consul russe vint pour le service religieux. Sur le pont le cercueil de Erochev était recouvert du drapeau de Saint-André, il y avait quelques couronnes dont une de la part des gardes- marine.
Pendant la descente du cercueil sur la vedette à vapeur qui devait l’amener pour l’enterrement dans le cimetière de Nagasaki, le clairon jouait le signal du « coucher » et nous chantions tous des prières d’adieu.
Lorsque la vedette à vapeur s’écarta du navire et disparu parmi les navires de la rade, la cérémonie d’adieu fut terminée et le drapeau de Saint-André de nouveau arboré sur le mât.
Les casquettes d’été des gardes marines avec leur ruban blanc couvrirent de nouveau les têtes de l’équipage du croiseur
Et la vie continua comme avant, avec juste une tristesse dans nos jeunes cœurs qui témoignaient du drame récent! Tout passe dans la vie, seule la mort est éternelle.
Le reste de la journée se passa comme d’habitude c’est-à-dire dans les études.
Nagasaki 17 novembre 1915.
Comme les jours précédents la météo était très agréable. Le matin fut consacré au travail sur des chaloupes
Après-midi quelques sections, dont la mienne, sont allées visiter les chantiers navals, ce qui ne présentait pas beaucoup d’intérêt. Nous avons cependant vu un intéressant appareil pour la préparation de modèles de surface de la coque des navires
Nagasaki 18 novembre 1915.
Ces jours étaient agréables chauds clairs et ensoleillés. Les études suivaient leur cours.
Aujourd’hui il y eut un petit événement intéressant. Sur le demi-pont ou j’étais de quart, j’ai remarqué qu’il y avait une pièce en bois à laquelle personne ne prêtait attention. J’ai demandé ce que c’était et j’appris que c’était un morceau d’une frégate russe nommée « Pallade » qui avait coulé. J’ai gardé ce bois comme un objet ayant une valeur historique et, plus tard, je l’ai apporté au directeur du musée historique de Ekaterinoslav .
Nagasaki 20 novembre 1915.
Le temps est magnifique, la vie suit son cours, rien de nouveau à écrire dans mon carnet.
Nagasaki 21 novembre 1915.
Jeudi le temps est toujours beau. Ce jour là est dans l’église orthodoxe la fête de l’introduction de la Vierge Marie au temple. Après le service on nous laissa aller à terre jusqu’à 9 heures du soir. Il fallait avant changer nos roubles en yens japonais dans une boutique :on nous donna 60 ¥ japonais pour un rouble.
A peine à terre nous fumes entourés de rickchaw c’est-à-dire des véhicules avec deux roues tiré par un homme au lieu d’un cheval.
Les conducteurs se battaient jusqu’à ce que chacun trouve son client. Tout ce remue-ménage était amusant à observer. Nous n’étions pas complètement à l’aise de se sentir tiré par un homme.
Finalement nous prîmes quatre rickshaw et partîmes visiter la ville. La ville est grande belle avec beaucoup d’habitants. Les rues étroites. Les maisons étaient basses et est en général en bois. On repéra un temple Bouddhiste. Tout cela était très étrange à nos yeux. C’était un autre monde.
Partout on voyait des kimonos. On avait l’impression d’être tombés dans un jardin zoologique avec des oiseaux tropicaux autour de nous. Des mignonnes japonaise nous regardaient avec des sourires aguichants. Mais dès qu’on s’approchait de ces japonaises, elles baissaient les yeux et le charme des sourires prometteurs était rompu. Cela donnait une impression de charme prometteur plein de timidité. De notre coté, on envoyait des œillades qui déclenchaient des rires des deux cotés.
La ville est remarquable par sa propreté.
Il y avait beaucoup d’écoles. C’était comique de voir des petits japonais avec leur livres à la main et qui travaillaient à apprendre la sagesse de la civilisation. Dès le jeune âge on apprenait aux enfants la valeur du travail. On voyait souvent des petits écoliers portant sur le dos la petite sœur ou le petit frère.
Après trois quarts d’heure de voyage en rickshaw on arriva à l’entrée du temple qui était dans un endroit montagneux joli, avec des plantes exotiques. Autour des jardins avec des aires de jeux et aussi des « maisons de thé ».
À notre passage des jolies geishas nous proposaient leur thé, en nous prenant par la main et essayant de nous entraîner à l’intérieur. Tout le monde riait, c’était très gai.
Le jardin était parsemé de nombreux monuments dédiés à des personnages historiques du Japon. Le temple lui-même est situé sur une petite colline et est ouvert à tous vents. Sur un piédestal spécial une statue de bouddha avec un regard hypnotisant.
On ne nous laissa pas entrer à l’intérieur mais nous étions contents de voir l’extérieur. On a pu voir une statue en métal d’un cheval sacré, puis le cheval vivant lui-même. Pendant le service religieux la statue du cheval est amenée à l’intérieur du temple. Après la visite du temple nous allâmes nous promener dans les rues de la ville. Nous avons pu acheter des souvenirs, à un prix assez élevé. Finalement nous fûmes très contents de notre journée.
Nagasaki 22 novembre 1915.
Aujourd’hui c’est dimanche. Le temps est beau. Le matin il y a eu la messe. Après nous nous reposâmes toute la journée. Aucun événement, n’eu lieu ce jour-là. J’ai envoyé une lettre à mes parents en Russie à Ekaterinoslav.
Nagasaki 23 novembre 1915.
Depuis le matin le temps est couvert. On peut supposer qu’il va pleuvoir dans la soirée. Depuis huit heures du matin nous allions en chaloupe. Je n’ai pas pu ramer à cause d’un étirement musculaire, le michman Tikhvinsky me mit donc à la barre. Le reste de la journée se passa à l’étude du Règlement et de la langue française. Le michman nous a dit que probablement nous allons quitter Nagasaki mercredi 24 novembre au soir. La prochaine escale sera Hong Kong. Là-bas nous restons peut-être environ un mois.
Nagasaki 24 novembre 1915.
Le matin est couvert. Il vente. Peut-être ferait-il beau ce soir.
Aujourd’hui je suis de quart de 8h30 jusqu’à 12h30. Après je n’avais rien à faire ! J’utilisai ce temps libre pour travailler l’alphabet Morse et lire le Règlement de la Marine.
Après-midi travaux sur les gréements et les superstructures, le règlement de garde, et sur les questions de navigation.
Le soir exercice d’alarme. Finalement nous partons le 26 novembre
Nagasaki 25 novembre 1915.
Le matin il faisait beau malgré de nuages. Les études suivent leur cours. En cause de la douleur dans mon bras je ne suis pas allé ramer. Je l’ai regretté car pendant une demi-heure ils ont mis les voiles. Aujourd’hui la remise en état des chaudières fut terminée. Bon, assez pour aujourd’hui, je n’ai rien à écrire.
Nagasaki, (départ en mer) du 2 au 6 novembre 1915.
Le temps est gris. Les études suivent leur cours. Après-midi, exercice d’alarme. Nous avons remonté à bord la vedette à moteur et la vedette à vapeur. A la sortie du port le vent devenait de plus en plus fort. Au large cela commença à remuer et nous fumes tous malades.
Le soir tout le monde était malade et vomissait. Personne n’a été dîner. Ceux qui étaient de garde allèrent se coucher plus tôt. Chacun devait chercher soi-même sa nourriture à la cambuse. Partout on entendait le bruit de la vaisselle et d’autres objets qui tombaient au sol. De nombreux matelots étaient aussi malades. Cela secouait tellement que personne ne put dormir cette nuit. L’amplitude du roulis atteignait 32° parfois 40 (voir le célèbre tableau d’Aîvazovsky « la 9ème vague »).
Mer jaune, 27 novembre 1915.
Le tangage continuait. Pour la première fois des gardemarines du pont inférieur ne sortirent pas dehors. Le matin il fallait répéter deux fois la commande « Debout ! » tant nous étions fatigués. Dans la cabine le désordre était affreux, partout des traces de vomi et de pelures de mandarines, oranges et citrons. Partout il y avait de l’eau de mer qui avait passé par-dessus le bord. L’odeur était affreuse. Le soir on sentit un peu mieux. Et on entendit l’ordre : Messieurs les gardes-marine montez immédiatement sur le pont supérieur pour des cours sur les superstructures. Et on envoya des matelots chercher les retardataires. La présence à l’air libre a permis de changer l’humeur malgré le tangage qui continuait. L’ordre « à la prière » fut donné un peu plus tôt et nous allâmes dormir de sept heures du soir jusqu’à sept heures du matin.
Mer Jaune 28 novembre 1915.
Le roulis commença à diminuer avec une amplitude maximale de 10°. On se sentait mieux, du moins par rapport à hier. On a même mangé de bon appétit. À droite, malgré la brume, on voyait de loin la côte chinoise. Vers 11 heures on passa devant le phare du détroit de Formose. On ne voyait pas encore Formose.
29 novembre 1915, partie orientale de la mer de Chine.
Depuis ce matin le temps est couvert. Le bateau bouge le temps. Après la tempête de la nuit nous commencions à nous habituer au tangage et au roulis. Les études suivirent leur cours habituel. Après dîner nous allâmes observer les dauphins qui sautaient dans l’eau à côté du bateau. Nous traverseront le détroit de Formose pendant la nuit. Il nous semblait que le ballottage diminuait de temps en temps et de ce point de vue nous avions de la chance. Au dîner le temps se découvrit et on vit le soleil.
Le matin nous allâmes à la messe. Aujourd’hui à midi on a franchi le Tropique du Cancer. À sept heures du soir je pris le carnet pour écrire un peu. Il fait nuit avec une magnifique lune. Nous arriverons à Hong Kong demain vers les deux- trois heures de l’après-midi. Cela suffit pour écrire, je vais monter sur le pont supérieur pour admirer la nuit.
Arrivée à Hong Kong le 30 novembre / 1er décembre 1915
Le ciel est un peu nuageux mais le temps est quand même beau. On arriva à Hong Kong à 10 heures du matin.
En l’entrée de Hong Kong il y a une forteresse avec ses énormes canons qui se dessinaient dans le ciel. Des deux côtés du port il y avait de grandes montagnes. Sur la rade il y avait de nombreux navires de toutes les nationalités. Les Anglais ont ici quelques sous-marins, des canonnières et aussi un croiseur auxiliaire du même type que notre croiseur « Orel » mais plus grand.
Vue de l’extérieur, la ville semble grande. Les maisons ne sont pas comme nos maisons en Russie. De nombreux bâtiments avaient un toit plat. Dans la ville il y a des tramways. Notre navire fut amarré à une bouée et aussitôt fut entouré par toute une flottille de bateaux marchands malais, vendant des marchandises de tous genres. Il y avait beaucoup de bateaux qui offraient en vente des oiseaux exotiques.
Nous attendons avec impatience d’aller à terre pour détendre un peu les jambes et regarder les étranges choses locales. Ce 1er janvier 1915 on nous donna un uniforme d’été
Hong Kong, 2 décembre 1915.
J’étais aujourd’hui de quart. Sur le canot à moteur, je fus désigné comme chef ! À 10 heures il y eu un signal d’alerte. Tout le monde en haut ! Pour relever les canots à rame. A midi tous les canots étaient à bord.
Jusqu’à trois heures nous avions des cours. À trois heures le navire quitta la bouée et se dirigea vers la baie de Mirzbai.
On y arriva à six heures. Le port ne présentait aucune particularité : tout simplement une baie entourée de montagnes de grandeur moyenne.
La population était nombreuse et de nationalité malaise.
Des familles de malais tournent autour du croiseur dans leurs sampangs. L’arrivé de navires dans leur baie est une chose rare. Pendant tout notre séjour dans la baie, ces gens, visiblement pauvres et affamés tournait autour de navires pour ramasser tout ce qui était jeté. Ce spectacle était assez pitoyable.
C’était lamentable de voir les gens dans leur pays colonisé par des étrangers ; il y a de quoi tirer des conclusions. Un jour ou l’autre tout cela va craquer. On prévoit de rester dans cette baie environ deux semaines.
Baie de Mirzbai, 3 décembre 1915.
Le temps est magnifique et ensoleillé. Aujourd’hui on a commencé les révisions avant les examens.
Après les révisions nous allâmes à terre, en canots à rame, puis à pieds dans les montagnes, pour prendre des photos avec l’appareil de Serge Romanov.
Baie de Mirzbai du 4 au 8 déc. 1915.
Il faisait beau tous les jours. Nous allions nous promener le long des berges. L’endroit est très joli avec beaucoup de fleurs, car nous étions près du tropique du Cancer. La végétation locale tropicale était remarquable par rapport à la végétation en Russie.
Le 27 décembre avoir sommes allées faire pour faire des exercices d’explosif. C’est un très intéressant de faire sauter des morceaux de bois ou de jeter des explosifs dans l’eau pour faire des grandes colonnes d’eau.
A chaque explosion nous entendions l’écho dans les montagnes et on observait après dans l’eau les poissons morts.
Baie de Mirzbai du 9 au 10 décembre 1915
Le temps est magnifique. Les études suivent leur cours
Hier nous sommes sortis en mer pour faire des vérifications de la déviation. Puis on n’est revenu dans la baie. Nous irons de nouveau à Hong Kong le 10 décembre.
Hong Kong 10 et 11 décembre 1915.
Nous arrivâmes à Hong Kong le 10 décembre vers 16 heures. Le temps est beau. Notre vie de marin se déroule lentement. Un incident s’est toutefois déroulé qui aurait pu se terminer de la façon la plus défavorable pour moi. Lors de l’amarrage d’une vedette sur laquelle je me trouvais, le mât de beaupré s’est pris dans une échelle de tempête. Le mât sur lequel était fixé cette dernière est tombé sur la vedette et il s’en est fallu de peu pour que je ne le prenne sur la tête.
Hong Kong 12 décembre 1915
Le temps est beau on nous laissa aller à terre. Une partie de la ville et européenne, l’autre, asiatique. Dans la partie anglaise les immeubles sont de grande hauteur. Partout la propreté. En petits groupes nous nous rendîmes dans la partie la plus proche de la ville qui est chinoise. On y trouva un bureau pour changer nos roubles pour de la monnaie anglaise. Pour un rouble, on nous donna 90 cents. C’était Noël catholique, il n’y avait pas beaucoup d’Européens dans la rue. La population locale est japonaise, chinoise et malaise.
En route nous rencontrâmes une procession de mariage chinoise : c’était très joli, plein de couleurs avec des costumes bariolés ; Sur la montagne noud arrivâmes jusqu’au jardin zoologique.
Il a fallu marcher une heure jusqu’en haut. La vue est magnifique. Nous nous installâmes à la terrasse de « l’Hôtel du Pic » pour déguster de la limonade, du café et des cakes pour admirer le panorama de la baie de Hong Kong. Pour revenir en bas nous primes le funiculaire électrique puis nous continuâmes de nous promener dans les ruelles en achetant divers souvenirs.
Avant de rentrer sur le navire nous fîmes une provision de bananes, ananas, oranges et autres fruits divers dont le prix était très bas. A 9 heures on monta dans la vedette pour revenir sur le croiseur.
Hong Kong, 13 décembre 1915.
Temps splendide. A 10 heures la messe. Temps magnifique. Après midi départ pour Haiphong.
Mer de Chine, 14 déc. 1915
Le temps est beau mais la mer très agitée. On commence à s’habituer au mal de mer. L’amplitude du tangage allait jusqu’à 18 degrés. Cela a duré un jour et demi. Aujourd’hui nous entrâmes dans le détroit de Hamsun (détroit de Tonkin). On a vu des bateaux coulés avec les mâts, le pont et les cheminées dépassant hors de l’eau.
Pour entrer dans Haiphong la navigation est très dangereuse.
Arrivée à Haiphong, 5 décembre 1915
Il y avait tellement de haut-fond que nous dûmes arrêter les moteurs et on envoya sur le mat le signal demandant un pilote. La ville Haiphong n’est pas au bord de la mer mais dans l’estuaire du fleuve. Les berges étaient couvertes de végétation très luxuriante et au fond on voyait de grandes montagnes d’au moins de 5000 pieds.
Vers 10 heures, il y eu une alerte : tout le monde sur le pont. Il a fallu nous attacher sur deux bouées pour tenir compte de l’amplitude des marées à l’entrée de l’estuaire.
Les français nous accueillirent très gentiment. Autour du navire, il y avait de nombreuses barques avec des jolies demoiselles agitant des mouchoirs. Pour l’instant je n’ai rien d’autre à écrire sur Haiphong. Nous ne savons pas combien de jours nous allons rester ici, probablement pas longtemps.
Haiphong 16, 17, 18 et 19 décembre 1915.
Le temps était plutôt couvert, avec de temps en temps de la pluie. Chaque jour nous avons beaucoup de visiteurs sur le navire, des français et des annamites avec leur famille. Les garde-marines jouaient le rôle de guides.
Mon chef prétendit que je parlais parfaitement en français, c’était un malentendu. Entre deux quarts, j’étais dans ma cabine, lisant un livre français, et j’entendis l’ordre « le garde-marine Rosoff, se présenter au chef de quart ! » Je me présentai en claquant des talons et j’’entendis : Rosoff, vous qui parlez bien en français, alors faites un effort et guidez les visiteurs dans le navire. C’étais un malentendu car je ne connaissais que quelques phrases, il a fallu que je me débrouille comme j’ai pu avec groupe de visiteurs.
J’imagine que mes visiteurs rigolaient intérieurement en entendant mes explications au sujet des moteurs !
On permit à tous les quarts d’aller à terre, sauf pour le mien. Je n’ait donc rien vu de la ville.
Mer de chine, 22 décembre 1915.
Je devais être sur le pont à 5 heures du matin avec les matelots, il a fallu m’asperger avec de l’eau froide pour me réveiller. A Kamran nous arrivâmes vers 11 heures : La baie est grandes mais avec une entrée étroite, partout autour des montagnes. L’ensemble était plutôt sympathique. Peu de population. Nous allons passer Noël ici
Kamran, Noël 23-24 décembre 1915.
Ces jours, le temps était très beau, et le soleil très chaud. Il fallait porter des chapeaux de soleil. Nous pensions à nos familles, là bas, très loin, fêtant Noël.
Le matin, grand nettoyage des quartiers d’habitation. Après diner, il y eu un service religieux à la mémoire du Chef de pièce Erochev.
Le soir du 24 décembre un fort vent se leva.
Le soir du 24, tous les garde-marines étaient alignés sur le pont en grande tenue blanche. Pour le service du Réveillon de Noël. Une église de campagne était organisée sur le pont, décorée de fleurs et de fruits exotiques. Chacun de nous pensait à sa famille. C’était la première fois que nous ne passions pas Noël en famille mais au loin à l’étranger.
Kamran, Noël 25 décembre 1915.
Le lendemain matin, il faisait beau, nous étions tous alignés sur le pont pour recevoir les Vœux de Noël des officiers et du Commandant.
Puis il y eu le repas avec beaucoup de fruits au dessert.
Pour l’après midi on nous proposa le choix, soit aller faire de la voile, soit aller à terre, la plage étant d’ailleurs plutôt déserte. Sous les ordres du michman Tikhvinsky, nous fîmes les deux, nous allâmes à terre en bateaux à voile.
Nous on se baigna, et nous étions très contents de notre journée. A 5 heures, retour sur le croiseur.
Puis, avec quatre autre camarades, nous fumes de garde à terre sur le phare: la mission était de surveiller les bateau qui venaient notre dans la nuit vers navire pour nous souhaiter leurs vœux avec des feux de Bengale.
La vue sur la mer était magnifique. Nous avons dormi une partie de la nuit par terre dans le phare.
Le 26 au matin nous retournâmes au navire pour le lever du drapeau.
Kamran, (le lendemain de Noël), 26, 27 et 28 décembre 1915
Le deuxième jour de Noël, études conférences, gardes et quarts. Le 28 et 29 nous avons organisé des soirées de spectacle vocal et musical avec comme spectateurs les officiers puis les matelots
Puis il y eu un concert musical, avec violons, piano et chanteurs.
Tous étaient très contents, malgré un couac lorsque le garde-marine Babitski se mit à raconter des anecdotes « cochonnes » et qui gâcha un peu l’atmosphère. .
Le commandant n’était pas content et partit sans même nous remercier pour la soirée. Le lendemain, devant tous les garde-marines, le Commandant exprima son mécontentement à ce sujet.
Kamran, (Nouvel An) 29, 30,31 décembre, 1er et 2 janvier 1916.
Le temps fut mauvais, beaucoup de vent. Rien de particulier. Arrivée d’un navire de commerce. Annulation des cours sur chaloupes.
Le réveillon du Nouvel An fut raté pour nous. On eu du café, du chocolat et des biscuits, le vin fut interdit pour nous, mais pas pour les officiers !
Le matin du 1er il y eu la messe, puis un repas qui ne fut pas différent de celui des autres Dimanches. A 4 heures il y eu un thé et des gâteaux et des fruits offerts au mess des officiers.
Nous partons de Kamran le 2 janvier.
Remarque : il y a à Kamran une tombe commune de marins russes de l’escadre de l’Amiral Rojestvensky morts au combat lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905.
Nous avions visité cette tombe pendant notre escale à Kamran.
Saigon 3 janvier 1916.
La ville de Saigon n’est pas au bord de la mer mais sur le fleuve à 63 miles de l’estuaire. Vue de l’extérieur, c’est une belle ville très sympathique. Beaucoup de végétation.
A l’entrée de la ville, on voyait un bateau anglais coulé.
Les français étaient très hospitaliers. Après les autorités, nous eûmes beaucoup de visiteurs. En ville, on remarqua tout d’abord comme les fruits étaient peu chers. C’était étrange de voir, en janvier, notre « pastèque russe » parmi les fruits exotiques.
Saigon, 4 janvier 1916.
Aujourd’hui notre section était de garde. Le visites du navire continuent, mais ralentissent.
Dans un journal français local, il y avait un article intéressant sur notre croiseur « Orel ». C’était pour nous une surprise de voir l’intérêt que portaient les français pour l’équipement de notre marine de guerre. Les journaux parlent de nos canons de 120 et 75 mm, des mines etc.
Saigon 9 janvier 1916.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire (je suis né le 5 janvier 1897à Varsovie).
Après midi on nous laissa aller à terre : comme on nous avait conseillé, on prit de rickshaw en direction du jardin zoologique. Le jardin était très beau, mais il faisait un peu trop chaud. On admira les tigres, panthères, éléphants les ours et de nombreux autres animaux. Ensuite nous allâmes à pieds vers la rue principale « Catina ».
Nous allâmes manger dans un restaurant français, le service et la nourriture étaient remarquables. Les menus étaient très variés, et bien entendu nous eûmes l’obligatoire vin rouge, de la glace et du cognac. Tout cela pour pas très cher !
Nous étions au frais, en buvant du vin non dilué à l’eau, ce qui étonnait les français. Puis échauffés par le vin, nous allâmes dans la ville avec l’idée de voir les bordels locaux mais nous n’avons pas « consommé », par peur d’attraper la « vérole » et le regretter toute la vie.
Saigon 6 janvier 1916.
Le temps est beau, la chaleur terrible. Après la messe on nous laissa aller de nouveau en ville sauf notre section qui devait prendre le quart car à 4 heures les visites du navire devaient commencer. De nouveau je fus désigné comme interprète. En réalité je n’étais pas du tout à l’aise avec la langue française.
Saigon, 7 janvier 1916.
Comme avant, le temps est beau. Les études suivent leurs. Aujourd’hui ma section passe les examens partiels de navigation. Cela dura de 11 heures à 4 heures 30. J’ai eu une note satisfaisante. Après nous eûmes l’autorisation d’aller à terre.
Nous allâmes avant tout, de nouveau, au jardin zoologique et ensuite rue Catina. Dans la rue nous eûmes la surprise de rencontrer un autre groupe de marin, qui se promenait avec le chien mascotte du navire.
On mangea de nouveau avec les menus à 7 plats, avec café et cognac, et tout cela pour 1 piastre par personne.
Les français sont extraordinaires du point de vue des restaurants. Après nous allâmes au jardin municipal puis on visita la cathédrale et le temple bouddhiste. Il y avait une cérémonie dont la partie la plus remarquable fut un feu d’artifice. Ensuite on alla au cinéma « Eden » dans lequel les français ont organisé une séance spéciale au bénéfice de la Croix Rouge russe. L’intérieur du cinéma était très intéressant, quant aux films, sans intérêt.
Aujourd’hui est le jour de la Saint Jean (Ivan en russe).
Saigon, 8 janvier 1916.
Le temps est beau. Les jours se ressemblent : cours, quarts, gardes.
Ma section a eu de la chance, on la laissa de nouveau à aller à terre. Cette promenade on la consacra exclusivement à l’achat de souvenirs et de cadeaux pour chacun de sa famille.
Entrée à Singapour 9 janv. 1916.
Vers 4 heures on quitta l’amarrage, direction Singapour. Il est prévu une traversée de 4 fois 24 heures. A peine au large, on commença à être secoués.
Samedi matin, les cours ne duraient que jusqu’à midi, après chacun travaillait comme il voulait.
Mer de Chine du Sud (rencontre avec un croiseur anglais) 10 janvier 1916.
Le temps est gris, messe à 11 heures sur le pont supérieur. Pendant le service, le commandant fut informé par le vigile de quart, qu’un navire était en vue à l’horizon, probablement un croiseur, selon sa silhouette. Cela inquiéta le Commandement et nous regardions tous avec curiosité ce point noir se diriger vers nous. Au bout d’un moment il n’y avait plus de doute, c’étais un croiseur mais la distance ne permettait pas de voir le pavillon.
Le service religieux fut stoppé et le clairon sonna l’alerte au combat. Chacun courut à son poste. Toutes les lumières furent éteintes, les canons furent mis en service, les services médicaux en alerte. Les garde-marines n’étaient pas prévus considérés comme combattants et se trouvaient rassemblés en groupes pour observer le mieux possible ce qui devait se passer.
Les dimensions du navire semblaient importantes et nous étions tous un peu anxieux. Le navire se rapprochait, on y voyait des gens et des canons étaient dirigés vers nous. A deux miles à peu près, il changea sa course et se mis en parallèle, tous les canons de son tribord étant dirigés vers nous.
Puis les signaux optiques annoncèrent qu’il s’agissait du croiseur anglais « Hermes » du type « Cornouailles » en mission vers les Philippines, à la chasse d’un navire supposé allemand.
Sud de la Mer de Chine (alerte : un homme à la mer !) 10 janvier 1916.
J’étais sur le pont supérieur quand retentit un coup de canon avec le cri : un homme à la mer !
De la dunette arrière, on jeta immédiatement une bouée, et les moteurs furent arrêtés.
On descendit la chaloupe qui fut rapidement de retour : ce n’était qu’un exercice !
Arrivée à Singapour, 11 janv. 1916.
Le temps était couvert, on y arriva vers 4 heures. Après il y eu distribution du courrier : j’avais une lettre de Nelly Klioutchinky de St Petersbourg et une lettre de mes parents !
Singapour, 12 janv. 1916.
Le temps était mauvais, du vent sans arrêt. On dit qu’ici le temps est presque toujours mauvais.
Aujourd’hui ma section est de garde. Jusqu’à présent on ne nous permit pas d’aller à terre. Donc rien à raconter sur Singapour.
Les premières impressions n’étaient pas fameuses, mais il ne faut pas juger à l’avance. On dit qu’on peut acheter ici de merveilleux coquillages.
Singapour, 13 janvier 1916.
On nous a fait nous lever très tôt pour participer au chargement du charbon. A cause du chargement du charbon, le programme d’études fut changé.
A partir de 11 heurs nous eûmes les examens partiels d’architecture de navires. L’examinateur, michman Kouchke, n’était pas sévère et nous eûmes tous des notes correctes.
Après diner, quelques sections, dont la mienne, furent autorisées à terre jusqu’à 9 heures du soir.
N’ayant pas d’argent, j’ai demandé au chef de section de me prêter 5 roubles.
Tout notre groupe se dirigea d’abord vers les boutiques indoues pour le change. Le cours du rouble était de 60 et quelques cent pour un rouble, et mes 5 roubles me permirent d’obtenir 3 dollars et 25 cents.
La ville est grande, désordonnée, avec des ruelles courbes et étroites.
Partout du linge pendait aux fenêtres.
Dans la partie européenne, on trouva des endroits intéressants et curieux. Le Jardin Botanique était une chose remarquable à Singapour. On s’y promena pendant deux heures. On s’aperçu que toutes les inscriptions étaient en anglais et notre connaissance de la langue était plutôt minable. L’impression que nous laissa Singapour n’était pas très bonne.
Singapour, 14 janv. 1916
Le temps est couvert, les études suivent leur cours, nous devons quitter Singapour à 17 heures.
Singapour, 15 janv. 1916
Le temps est beau mais le soir les nuages arrivent. Il y a des rumeurs que nous allons bientôt franchir l’Equateur avec sa cérémonie particulière.
Pour préparer la cérémonie traditionnelle, quelques mitchmans distribuèrent les rôles et allèrent en ville pour acheter les accessoires nécessaires, des costumes et des produits pour maquillage. Il n’y a que 60 miles de Singapour à l’Équateur.
Singapour, 16 janvier 1916.
Le matin nous eûmes la surprise d’avoir des examens partiels à la place des cours habituels. On releva tous les canots à rames ainsi que la vedette à moteur. Nous serons en mer demain vers 6-8 heures du matin et l’Équateur sera franchi vers 16 heures.
Sud de la Mer de Chine (Passage de l’Equateur), 17 janvier 1916.
Nous ne quittâmes pas Singapour comme prévu à 8 heures mais à midi. Compte tenu du retard, la cérémonie fut reportée au lendemain. On disait que sur l’Équateur le temps est plutôt beau, mais ce fut le contraire et le tangage fut très fort.
Sud de la Mer de Chine, 18 janvier 1916.
Dès le matin il y eut des « préparatifs secrets ». Vers 9 heures, un « commandement équatorial » commença à remplacer les véritables responsables de quart.
La responsabilité du navire fut passée aux gardes-marine.
Au bout de quelque temps, Neptune sortit de la mer, suivi de son « commandement équatorial », monta à bord. Le vrai commandement sortit alors à sa rencontre et se présenta au rapport. Le clairon joua le « rassemblement ». Tout le monde était aligné, le « commandement équatorial » à tribord, le vrai commandement à bâbord ; au commandement « Fixe », même le chien mascotte « Bobrik » se mit sur ses pattes arrières.
La cérémonie du passage de commandement du « faux » au « vrai » fut très gaie.
Ensuite se joua la comédie de la négociation, Neptune exigeant son dû, assez important, car il demanda plusieurs roubles d’argent à ceux qui passaient la ligne pour la première fois. Ceux qui ne pouvaient pas payer, officiers ou professeurs, furent jetés dans un « piscine » faite avec une bâche et remplie d’eau « équatoriale » pompée de la mer. Le Commandant demanda la permission d’enlever son uniforme blanc avant d’être jeté à l’eau, les autres étaient jetés tout habillés. Alors on posa la question : où donc est le prêtre ? On envoya des « diablotins » grimés en noir, (j’étais parmi eux), à sa recherche. Le pauvre père André s’était enfermé dans sa cabine exigeant, du marin qui le servait, de défendre sa porte en la fermant à clé de l’extérieur et de ne dire à personne où il était.
Finalement on força le marin à donner la clé et on jeta le « pope » à l’eau avec sa soutane.
Jeunes et stupides, nous ne nous sommes pas rendu compte qu’il n’aurait pas fallu faire cela par respect pour son sacerdoce. Pendant quelque temps, le prêtre nous en voulu et cessa ses visites au mess des sous officiers.
Nous n’avions pas réussis à trouver le cuisinier qui s’était enfermé dans l’installation frigorifique.
Et la vie continua, avec les cours, les gardes, les quarts… Les examens concernant les superstructures se passèrent bien.
Sud de la Mer de Chine, 19 janvier 1916.
De bon matin, le temps devint mauvais, le ciel couvert de nuages et de la pluie. Maintenant nous prenons le quart.
On nous propose aujourd’hui un examen sur la mécanique du navire que j’avoue ne pas bien connaitre.
Sud de la Mer de Chine, 20 janvier 1916.
Depuis ce matin le temps a changé. Le ciel est couvert de nuages. Pour le moment ce n’est pas très mauvais, il pleut de temps en temps. Les vagues deviennent de plus en plus grandes et notre croiseur est secoué de plus en plus. Malgré cela les études continuent. Nous dirigeons vers Labuan, une ville proche de Bornéo; nous y arriverons ce soir.
Sud de la Mer de Chine (Labuan). 21 janvier 1916.
À cause du brouillard nous jetâmes l’ancre à 15 miles de Labuan. Le matin au lever du jour nous nous approchâmes plus près. À huit heures nous arrivâmes dans la baie. À l’entrée nous avons rencontré un bateau anglais. On jeta l’ancre à neuf heures. Avant-midi nous faisions du canot à rames et après nous fîmes de la voile.
Labuan (à l’ouest de Bornéo) 22 janvier 1916.
Le temps est couvert. Il a plu la nuit. Jusqu’à midis nous avons étudié l’artillerie. À part cela rien à signaler. Le lieutenant Schmidt nous fit un cours sur l’architecture des navires. Après-midi notre section alla à terre.
La ville se compose d’une seule rue, assez pauvre et sale. Avec trois de mes amis nous allons vers le bois. Beaucoup de pins et d’arbres résineux.
Mais il y a aussi des très grands et beaux palmiers à noix de coco. Des noix de coco, il y en a plein partout. On en ramassa quelques uns de la taille d’une tête d’enfant, pour faire connaissance avec ce fruit et aussi pour étancher la soif. On se promena encore un peu sur l’ile mais finalement on revint déçus de la balade.
En route pour Sandakan, 24 et 25 janvier 1916.
On leva l’ancre à 6 heures et sortîmes au large vers Sandakan. Au préalable il fallu corriger la déviation car la route que nous devions prendre est mal connue. La nuit, le navire fit plusieurs arrêts en jetant l’ancre en pleine mer à coté d’îles mal connues. Le temps était splendide et la chaleur torride.
Sud de la Mer de Chine (Arrivée à Sandakan, Bornéo) 26 janvier 1916.
Beau temps, chaleur, études comme tous les jours. En chemin, nous rencontrâmes une multitude de petites iles. Arrivée à Sandakan le soir vers 6 heures.
Il y avait dans la rade un croiseur anglais et un japonais et aussi une canonnière.
Sandakan, 27 et 28 janvier 1916.
Le temps était beau quoique coupé par des pluies tropicales. Le matin du 28 janvier ma section prit le quart. Le soir nous seront de garde. Pour l’instant on ne nous laissa pas aller à terre.
Sandakan, 29 janvier 1916.
Beau temps mais chaleur terrible. Le matin deux heures de travail en chaloupe puis deux heures d’exercice d’alerte. Nous avons fait des régates de canots. Malheureusement ma section n’a pas eu de chance et nous sommes arrivés quatrièmes car nous sommes rencontrés avec une vedette ce qui nous fait perdre du temps. L’après-midi on alla à terre mais franchement je n’en avais pas tellement envie car je n’avais plus d’argent. Sandakan ne présente rien de particulier.
On se promena dans la ville puis on alla voir des concours sportifs organisés par des Japonais à l’occasion de l’anniversaire du couronnement de leur Empereur. Les japonais se sont montrés très polis nous et nous ont offert des gâteaux et du whisky à l’eau gazeuse. En gros, nous avons pris du bon temps.
Sandakan, 30 janvier 1916.
Le temps est beau. On a eu des examens concernant les mines. Ce fut OK pour moi. Après je fus de quart pour la signalisation. J’ai eu un mauvais point car j’ai été surpris en position assise pendant le quart !
Sandakan, 31 janvier 1916.
Le temps est beau. A 11 heures la messe. Ce jour on ne nous a pas permis d’aller à terre car nous devons lever l’ancre d’un moment à l’autre. Le soir il pleuvait, et étant de quart j’ai été bien mouillé. Le soir arriva un croiseur anglais auquel nous avons rendu les honneurs, alignés sur le pont en chantant l’hymne national. Cette cérémonie m’a beaucoup émue, pensant à ma Patrie et à notre Empereur.
C’est alors que j’ai pensé aux paroles du Général Souvorov : « Messieurs les Officiers, merci mon Dieu, quel bonheur d’être russe ! » Je pense que je me souviendrai toute ma vie de ce moment.
Départ pour Saigon, 1er fev.1916.
On leva l’ancre à 11 heures. Nous attendons avec impatience l’arrivée d’un navire anglais qui doit nous amener le courrier. Nous avons à peine quitté le quai que ce navire arriva mais une vedette nous amena le courrier tant attendu, qui fut distribué après diner.
J’ai reçu quatre lettres, une de ma sœur, les autres de mes parents. Je fus très ému.
C’est là que j’appris que mon frère a été admis à l’École d’officiers de l’artillerie.
Sud de la Mer de Chine 2, 3, 4 et 5 février 1916.
Le temps est changeant, aujourd’hui beau, demain pluvieux On est beaucoup secoués. Le 2 février étant férié, pas de cours.
Le 3 fév. Nous avons rencontré un navire sans pavillon: malgré nos signaux, il passa sans répondre. Par un coup de canon de 75 nous l’avons obligé à s’arrêter et à indiquer sa nationalité. Le 4 février je fus de garde.
Saigon, du 6 au 13 février 1916.
Nous arrivâmes à Saigon le 5 février à trois heures du matin.
On s’amarra au même endroit. Le temps était beau, très chaud avec quelques ondées. Les études suivirent leur cours. On commence à réviser en vue des prochains examens. Nous avons reçu notre solde, 2-3 roubles par mois, mais n’avons rien dépensé d’autre que des repas aux restaurants.
Quelques jours avant notre arrivée à Saigon, il y eu une insurrection des troupes locales annamites. On dit que 130 personnes furent fusillées !
Nous eûmes aussi la tristesse de la mort d’un singe mascotte du navire
Mer de Chine, 14 février 1916.
On largua les amarres à 8 heures, direction « Nha Trang » à quelques 30 miles de Kamran.
La mer était calme. Je n’ai pas eu de chance car pendant la journée je fus à l’intérieur du navire, de garde au coffre-fort.
Arrivée dans la baie de Nha Trang, 5 février 1915.
On passa devant Kamran vers 8 heures et à 11 heures entrâmes dans la baie qui est assez grande et toute couvertes de forêts.
Il y a ici une petite colonie française ; puis le Commandant changea d’avis et nous allâmes jeter l’ancre dans une baie voisine.
Le temps est beau. De nouveau on jette l’ancre dans une baie voisine.
Nha-trang 16 février 1916.
Il eut un événement piquant : on apprit que notre professeur de français avait des mœurs spéciales. Petit à petit il y eu des plaintes de gardes-marines qui auraient subi des tentatives de viol. Il est probable que quand on sera à Hong Kong, le professeur sera débarqué et renvoyé en Russie.
Ces jours-ci nous avons eu beaucoup de exercices d’alerte « incendie » et « voie d’eau ».
Nha-trang 17 février 1916.
Le temps est toujours beau et les études suivent leur cours.
Le professeur de français a bien été débarqué et les cours de français annulés.
Le temps est beau et nous avons eu des examens de langue anglaise. Aujourd’hui nous avons eu des exercices à la voile.
Nha-trang 20 février 1916.
Toujours du soleil. De nouveaux des exercices à la voile. Je suis triste j’ai perdu ma petite croix que je portais au cou.
Nha-trang 20 février 1916.
Ce jour est férié, il n’y a pas d’études. Le temps est toujours beau et notre de section est de quart.
Il a fallu rester tout le temps à côté des machines électriques.
Après 6 heures on alla à terre. La ville se trouva à environ six km de l’endroit où nous étions à quai. La ville nous rappelle un peu les petites villes de la Crimée, partout beaucoup de verdure. Vers quatre heures nous allâmes nous baigner. La plage était particulièrement jolie et les vagues n’étaient pas trop fortes. Et après j’ai travaillé mes cours. Dans la ville nous avons rendu visite à un savant français qui avait découvert, dit-on, les bactéries de la peste. Il a une maison magnifique. Étant sur la plage, nous vîmes un point noir s’approchait rapidement de croiseur. C’étais un navire marchand qui allait très vite, peut être 25 nœuds, poursuivi par un croiseur anglais ou japonais, car on a entendu plusieurs coups de canon.
Nha-trang 21 février 1916.
Aujourd’hui notre section était de garde.
Après-midi nous avons dormi au moins quatre heures dans notre cabine.
Nha-trang 22 février 1916
Le temps est beau.
Après-midi nous avons eu des exercices de tir au fusil. Sur sept coups j’ai touché la cible deux fois.
Mer de Chine, 23 février 1916.
On leva l’ancre à deux heures et j’ai immédiatement été de quart. Nous seront à Hong Kong, le 27 février probablement. Nous y resterons quelques jours, le temps de se réapprovisionner en charbon et repartir vers Mirzbaï.
Mer du chine, 23 et 25 février 1916.
Il ne fait pas beau. Le ciel est couvert et il pleut. Le vent est fort. Et nous sommes beaucoup secoués.
Nouvelle intéressante : le navire de transport « Xenia », accompagné de deux torpilleurs, a quitté Vladivostok pour la Méditerranée.
On dit aussi qu’à Vladivostok nous aurons de courrier et aussi une « Bonne Nouvelle » ?
Arrivé à Hong Kong le 26 février 1916.
Le temps est affreux il pleut et il y a beaucoup de vent. A 8 heures nous étions à Hon Kong et, à peine amarrés, nous apprîmes que « Xenia » et les deux torpilleurs étaient partis la veille. Heureusement ils nous ont laissé le courrier et j’ai eu 4 lettres datées du 9, 18 et 24 déc. Et du 5 janvier !
Pour nous, marins loin de la Patrie, c’était un grand événement.
Les nouvelles de la maison étaient bonnes.
Les nouvelles de la guerre étaient plutôt bonnes, et on nous annonça que notre navigation allait durer jusqu’au mois de Mai, et ensuite on nous promit une permission de 6 semaines.
Hong Kong le 27 février 1916.
Il fait gris et froid. Nous reçûmes nos capotes d’hiver et nous dormions à l’intérieur du navire. Le samedi nous n’avions des cours que le matin, l’après midi étant libre.
Il y eu aussi les examens sur la mécanique des navires.
Hong Kong le 28 février 1916.
Mauvais temps. Le matin je fus de quart et après de garde. J’ai envoyé une lettre à la maison.
Hong Kong le 29 février 1916.
Mauvais temps. De nouveau de garde. Après le lever du drapeau, on nous lut un télégramme de félicitation envoyé à la première compagnie à Petrograd, qui venait d’être promue dans le grade de mitchman. Nous aussi nous serons promus probablement dans 6 mois. Nous allons naviguer encore un mois, puis en Mai, nous serons de retour à Petrograd.
Hong Kong le 1er mars 1916.
Le temps est toujours mauvais. Aujourd’hui, on nous apprend comment tracer la route sur la carte
On a remonté à bord tous les canots. Midi nous entrâmes dans la baie. Nous resterons ici probablement une dizaine de jours.
Mirzbai, 3 mars 1916.
De nouveau des cours de voile.
Mirzbai, 4 mars 1916.
Mauvaise météo. De temps en temps il pleut. Presque tous les jours nous avons fait de la voile. Bientôt il y aura un examen.
Le dimanche 6 mars je suis allé à terre. Ici presque toute la population est chinoise. Il y a un chemin de fer qui va à Hong Kong et aussi de bonnes routes. Nous avons été regarder des maisons chinoises. Partout pauvreté et saleté. On se demande comment ces gens pauvres peuvent vivre ainsi. Nous sommes allés visiter les ruines d’un fort chinois et une rizière.
Mirzbai, 9, 10 et 11 mars 1916
Le temps est gris.
Bientôt, à l’arrivée à Vladivostok, nous aurons encore des examens.
Départ pour Hong Kong le 12 mars 1916.
On arriva à Hong Kong vers midi.
Hong Kong 13, 14 et 15 mars 1916.
Le temps est beau. Nous avons reçu la solde et, avec mes amis Micha Youdine,14Note PL : Youdine Mikhail Arkadievitch. Classes spéciales de gardes-marine 1918. Garde-marine de vaisseau. Dans les FASR et l’Armée russe dans la flotte de la mer Noire jusqu’à l’évacuation de la Crimée. Mitchman (le 1er mars 1918). Le 25 mars. 1921 Escadre russe à Bizerte sur le destroyer Capitaine Saken, du 23 juin 1921 à janvier 1922 sur le croiseur Guénéral Kornilov. Géomètre en Tunisie puis en France. Décédé le 13 juin 1964 dans le sud de la France. (Source S. V. Volkoff).Serge Romanov,15Note PL : Romanov Sergeï Ivanovich, né le 22 août. 1897. Noble, fils d’un colonel. 2ème corps de cadets en 1915, classes spéciales de gardes-marine promotion 1918. A l’état-major de l’armée du Nord-Ouest. Mitchman. En janvier 1920, il a été capturé alors qu’il tentait d’aller à Petrograd. Fusillé par les bolcheviks le 25 août 1920 à Cronstadt. (Source S. V. Volkoff). et Khoutiev,16Note PL : Konstantin Khoutiev. Classes spéciales de gardes-marine 1918 (ne les a pas terminés). Dans l’Armée des volontaires et des FASR. Tué en 1919. (Source S. V. Volkoff). nous avons loué une automobile et nous avons roulé partout dans la ville. On a eu du bon temps ! Le 14 mars on commencé à charger le charbon.
Le matin on nous a fait visiter les docks et les chantiers navals. On assista à un lancement de bateau. Ces docks nous parurent meilleurs que ceux de Nagasaki. De retour sur le croiseur, j’y trouvais une lettre de la maison datée du 17 janvier. J’écrivis une lettre.
Hong Kong 16 mars 1916.
On repartit en mer, probablement vers Kobe. Le voyage va durer une semaine et on prévoit une tempête.
Mer de Chine, 17 mars 1916.
Détroit de Formose. Le temps est beau. Aujourd’hui examen d’artillerie. J’ai eu une bonne note (3). Pas de mal de mer.
Mer de Chine, 19 mars 1916.
Temps couvert. Vagues énormes, l’amplitude du roulis atteignait 35 à 41 degrés. Beaucoup d’entre nous furent malades.
Océan Pacifique 20 mars 1916.
Le matin la mer se calma et on vit Yokohama. On arriva à Kobe vers 11 heures du soir. La profondeur de la mer était ici de 7 verstes!
Océan Pacifique 21 mars.
Le temps est magnifique. De loin on voit des iles japonaises. Je me sens un peu malade mais au bout de quelques jours cela passa. Nous arrivâmes à Kobe à 4 heures du matin.
Kobe, 22, 23 et 24 mars 1926.
Le 2 avril nous aurons les examens finaux.
Chaque jour, des marchands japonais furent autorisés à bord. J’ai acheté des cartes postales de Kobe. On restera ici probablement jusqu’à Dimanche 28 mars.
Kobe 25 mars 1916.
Temps splendide. Après la messe on nous laissa aller à terre. Avec nos derniers sous nous allâmes nous promener : la ville donnait une bonne impression. Très hospitalière. Malheureusement nous étions limités en tout, aussi bien au point de vue du temps que de l’argent.
On acheta quand même quelques souvenirs.
A Kobe il y a des grands chantiers navals, et des grandes usines.
Il y a beaucoup de monuments divers, des sources chaudes, des châteaux historiques du 12ème siècle et enfin un parc magnifique.
Kobe, 26 mars 1916.
Le temps est beau. Aujourd’hui on doit terminer les cours. Nous avons jusqu’au 2 avril pour réviser.
Départ pour Vladivostok 27 mars 1916.
On largua les amarres vers 8 heures du matin, et enfin, on se dirigea vers la baie de Vladivostok
Dans la nuit nous sommes passés devant un volcan en éruption.
Mer du Japon 28, 29 mars 1916.
Après avoir laissé partir le pilote, nous nous dirigeâmes droit vers Vladivostok.
Les côtes du Japon étaient déjà loin lorsque je remarquai un moineau qui vint se poser sur le bastingage!
Le temps est gris, le vent fort et nous étions bien secoués. Les cours sont terminés.
Le golfe du Pierre le Grand, 30 mars 1916.
Avant d’entrer dans le golfe nous avions reçu par radio un message disant qu’un torpilleur allait à notre rencontre.
A 9 heures on vit un torpilleur portant un « pavillon de bienvenue ».
Sur la route, nous rencontrons quelque morceaux d’iceberg fuyant l’hiver. On commença à sentir le parfum de la terre. Le temps est splendide. On passa devant le Phare vers 11 heures et entrâmes dans Vladivostok.
Dans la rade on vit nos nouveaux vaisseaux « Peresvete », « Tchesma » (ex Poltava) et « Retvizane ». De nombreuses vedettes remplies de divers officiers arrivèrent vers notre navire.
On dit que les examens commenceront aujourd’hui en présence du Vice-Amiral.
La première croisière d’officiers est terminée (1915-1916)
Mon premier « journal » se termine aujourd’hui.
C’est ma première expérience de tenir un carnet de route. Je pense qu’il comporte de nombreux défauts. Mais tenir un carnet de route présente aussi certains avantages : Apprendre comment sera la vie future de marin, a noter mes impressions de la vie sur la mer et de ma « trajet » dans la vie et que toutes ces route n’ont qu’une une seule fin : « la Voie de Dieu ». Et dans la vieillesse, en relisant ces notes, il y aura de quoi se souvenir et de mieux raisonner sur les sinuosités de la vie : qu’il y avait-il de bon ou mauvais ? Et après on comprendra : « Tout passe dans la vie, il n’y a que la mort qui est éternelle »(Citation de Léonid Andreïev « La vie d’un Homme »)
Ivan ROSOFF
de la troisième compagnie de Gardes-marine des « Classes Spéciales de Gardes-marine », le 31 mars 1916, dans la rade de Vladivostok.
POUR LES PAGES SUIVANTES VOIR EN BAS DE PAGE SOUS LES NOTES.
- 1Note PL : premier grade d’officiers de la Marine Impériale, il correspondrait au grade de la Marine française « enseigne de vaisseau de 1ère classe ».
- 2Note PL: il s’agissait d’une formation accélerée « du temps de guerre » d’une durée de 3 ans
- 3Note PL : c’était le premier grade attribué aux élèves-officiers après formation. Il était donné aux élèves des classes supérieures de l’École Navale. A la sortie de l’École Navale les gardes-marine étaient promus gardes-marine de vaisseau. Les gardes-marine de vaisseau embarquaient pour une longue croisière de formation pratique à l’issu de laquelle ils passaient un examen et accédaient au grade de mitchman, le premier grade d’officier de la Marine Impériale.
- 4Note PL : Accompagnés du responsable, du capitaine de frégate A. A. Vorobieff, de 3 officiers, de 9 sous-officiers et de 13 employés. Il s’agit de la promotion 1919. (Sources: Les gardes-marine de Vladivostok. N. N. Kritski, A. M. Bouiakoff) (voir liste en annexe)
- 5Note PL : Croiseur auxiliaire : il s’agissait d’un navire rapide, de transport de passagers ou de marchandises, que l’on armait en temps de guerre. L’Orel était un navire de transport mixte (passagers et marchandises) commandé en 1908 à la société allemande F. Schichaupar la société Dobrovolni Flot. Cette société avait été créée en 1878 et avait été financée par des dons. Elle était contrôlée par le gouvernement russe et possédait des navires rapides qui pouvaient être utilisés en qualité de croiseurs auxiliaires ou bien assurer la logistique militaire. L’Orel avait été réquisitionné en 1914 et armé de 2 canons de 120 mm, 2 canon de 75 mm, 4 canons de 47 mm. Son équipage était composé par 11 officiers et 123 grades subalternes. Déplacement 3462 t, 102,6 m de long, 13,8 m de large, vitesse 16 nœuds.
- 6Note PL : Il s’agissait le plus souvent de la cérémonie de mise en bière d’un mannequin qui représentait la vie civile et que l’on déchirait à coups de baïonnettes à la fin de la cérémonie.
- 7Note PL : Il s’agit là des officiers affectés à ce navire en 1914. Nous avons eu la confirmation de la présence de certains d’entre eux à bord pendant la campagne de navigation, les noms des autres sont suivis d’un point d’interrogation. (Sources : Les gardes-marine de Vladivostok. N. N. Kritski, A. M. Bouiakoff)
- 8Note PL : Pavel Pétrovitch VINOKOUROV, né en 1881. École Navale 1900. Capitaine de frégate. Dans les FASR et l’Armée russe; au printemps 1920, commandant du port de Tuapse, puis en Crimée. Capitaine de vaisseau. Évacué de Sébastopol sur le cuirassé “Guénéral Alexeev”. En Yougoslavie à l’été 1921 puis émigre à Belgrade en 1934 puis en Allemagne en 1949. Décède en 1949 à Port Saïd, alors qu’il voyageait vers l’Australie (Source S. V. Volkoff).
- 9,Note PL : Totchiski Kaetan Antonovich, né en 1884. École d’ingénieurs navals, 1909. Lieutenant de vaisseau, ingénieur-mécanicien de la Flottille sibérienne. Il rejoint l’armée blanche du front de l’Est ; le 30 juin 1918, il rejoint la flottille sibérienne (Source S. V. Volkoff).
- 10Note PL : Gnida Vladimir Dmitrievich, né le 23 mars. 1885. Ecole navale, 1905. Lieutenant de vaisseau, commandant de la flottille sibérienne par intérim. En exil en Chine. Mort le 28 février 1934 à Shanghai (Source S. V. Volkoff).
- 11Note PL : Alexandre Apollonovitch Vorobieff : né le 11 (14) août 1881 à Saint-Pétersbourg. Fils d’un général, originaire de Novgorod.
Il est diplômé de l’École navale en 1902. Mitchman. Participe à la défense de Port Arthur. Enseignant en astronomie et mathématiques à l’École Navale de Saint-Pétersbourg
Marié et père d’une fille et de deux fils. Le 6 décembre 1914, il est promu capitaine frégate pour excellence. En 1915, dans les Classes spéciales de gardes-marine. Naviguait sur le navire-école “Narva” en 1917 puis reste à Sébastopol. Depuis octobre 1919, il était professeur de géographie, d’astronomie et de mathématiques à l’École Navale de Sébastopol.
Depuis juin 1920, commandant de la section mixte du corps des gardes-marine à Sébastopol. Évacué avec la flotte vers Bizerte. Le 25 mars
1921 – dans l’Escadre russe. Jusqu’en 1925, professeur et bibliothécaire de l’École navale.
Après la fermeture de l’École navale, il a travaillé à la ferme Montero, a travaillé dans l’apiculture. Plus tard, il a travaillé au bureau de poste des douanes du port de Tunis. Il parlait français et anglais. En 1936, il a reçu la nationalité française, a été naturalisé le 1er mai 1936. Quitte la Tunisie en 1956. Membre du Cercle de la marine de Paris. A participé à la collection “Port Arthur” (mémoires des témoins) qui a été publiée à New York en 1965. Décédé le 8 septembre 1965 à Angers (France). Il a été inhumé au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois. (Sources : Forum Kortic http://kortic.borda.ru/). - 12Note PL : Kouchké Théodore Théodorovich (Fiodor Fiodorovich), né en 1893. École d’ingénierie navale 1914. Mitchman, ingénieur-mécanicien de la Flottille sibérienne. Rejoint l’armée blanche du front de l’Est ; le 30 juin 1918 dans la Flottille sibérienne. Lieutenant. Lors de l’évacuation en 1922, il est resté à Vladivostok. En exil en Lettonie, il est arrêté par le NKVD en 1940 et déporté en URSS.
- 13Note PL : Tikhvinsky Vladimir Aleksandrovitch, né en 1897. École navale 1915. Mitchman de la Flottille sibérienne. Rejoint l’Armée blanche du front de l’Est ; le 30 juin 1918, fait partie de la Flottille sibérienne. (Source S. V. Volkoff).
- 14Note PL : Youdine Mikhail Arkadievitch. Classes spéciales de gardes-marine 1918. Garde-marine de vaisseau. Dans les FASR et l’Armée russe dans la flotte de la mer Noire jusqu’à l’évacuation de la Crimée. Mitchman (le 1er mars 1918). Le 25 mars. 1921 Escadre russe à Bizerte sur le destroyer Capitaine Saken, du 23 juin 1921 à janvier 1922 sur le croiseur Guénéral Kornilov. Géomètre en Tunisie puis en France. Décédé le 13 juin 1964 dans le sud de la France. (Source S. V. Volkoff).
- 15Note PL : Romanov Sergeï Ivanovich, né le 22 août. 1897. Noble, fils d’un colonel. 2ème corps de cadets en 1915, classes spéciales de gardes-marine promotion 1918. A l’état-major de l’armée du Nord-Ouest. Mitchman. En janvier 1920, il a été capturé alors qu’il tentait d’aller à Petrograd. Fusillé par les bolcheviks le 25 août 1920 à Cronstadt. (Source S. V. Volkoff).
- 16Note PL : Konstantin Khoutiev. Classes spéciales de gardes-marine 1918 (ne les a pas terminés). Dans l’Armée des volontaires et des FASR. Tué en 1919. (Source S. V. Volkoff).