MEMOIRES D’UN OFFICIER DE LA MARINE RUSSE DANS LA TOURMENTE REVOLUTIONNAIRE D’IVAN ROSOFF. DE PETROGRAD A BIZERTE.

MEMOIRES D’UN OFFICIER DE LA MARINE RUSSE DANS LA TOURMENTE REVOLUTIONNAIRE D’IVAN ROSOFF. DE PETROGRAD A BIZERTE.

CHAPITRE 4 – RETOUR A EKATERINOSLAV, 20/10/1917 au 24/02/1918.

Le 20 octobre 1917, fin de la croisière d’étude.

Notre navigation prit fin le 20 octobre 1917. Nous attendions avec impatience notre retour à Petrograd. Avant de repartir vers la Russie (européenne) nous reçûmes l’argent qui devait nous permettre d’acheter et les uniformes en vue de notre promotion en qualité mitchman (enseignes de vaisseau de 2ème classe) qui devait intervenir en février 1918.

Lors de nos deux séjours à Vladivostok, nous avions eu l’occasion de faire de nombreuses connaissances, et une grande foule est venue nous accompagner à la gare.

Le train pris enfin son départ, et nous voila de nouveau sur la route de Petrograd. Lorsque nous étions déjà près de l’Oural, le Commandement pris la décision de nous laisser partir en permission sans passer par Petrograd. Pour ceux qui allaient vers le sud, Tcheliabinsk était la station où nous devions prendre la correspondance.

Au fur et à mesure que nous nous approchions de Tcheliabinsk, nous pouvions nous apercevoir de l’empreinte laissée sur notre pays par l’établissement de la jeune république démocratique. Sur le visage des gens se lisaient les soucis ainsi que l’absence de confiance les uns dans les autres.

La discipline fit place au relâchement. A l’embarquement dans les trains, il y avait la bousculade et l’insolence. Prévoyant des difficultés d’approvisionnement, le commandement attribua au groupe (nous étions une trentaine) qui partait vers le sud, un certaine quantité d’approvisionnement de première nécessité, du pain, des biscuits et une grande quantité de saucisson sec.

A Tchéliabinsk notre wagon fut décroché, et nous repartîmes le long d’une voie qui nous était nouvelle. Sur le chemin de l’Oural le paysage changeait progressivement, surtout à près Omsk. Apparurent des buissons, puis des forêts et des villages. A Oufa, le wagon fut raccroché à un autre train et nous eûmes quelque temps pour aller manger du borchtch au buffet de la gare. Aux arrêt dans les stations, les gens montaient de plus en plus nombreux dans le train et nous fûmes obligé de  laisser des sentinelles armées pour garder notre approvisionnement.

Bientôt nous arrivâmes à des endroits connus de notre cher Sud : à Sinelnikov, Kajaï et moi quittâmes les camarades qui allaient vers Sébastopol (Blagov, Svenitsky et Bogolioubov), et surchargés de notre bagage (comprenant tous les achats et matériels acheté en vue de notre promotion à venir), nous attendîmes sur le quai de gare la correspondance pour Ekaterinoslav. Il ne nous restait que quarante minutes pour être dans notre ville natale.

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Pont ferroviaire d’Ekaterinoslav sur le Dniepr, construit en 1887

Décembre 1917 : bonjour Ekaterinoslav !

Kajaï et moi, nous nous séparâmes à la sortie de la gare, prenant chacun son fiacre. Jusqu’à la maison, il y avait environ 1,5 km qui furent rapidement parcourus. Prenant l’ Ekaterininski Prospect, le cocher tourna la place Ozerny Bazar et pris la côte de la rue Gymnastitcheskaya au sommet de laquelle se trouvaient les Entrepôts d’état dont mon père était le directeur. Arrivé au portail, je rencontrais comme toujours notre gardien Vassili Ivanovitch. Il était encore tôt le matin et la maison semblait endormie. Après avoir embrassé le gardien, je couru au premier étage et sonnai à la porte.

Entrepôt de spiritueux à l’angle du prospect Pouchkine et de la rue Gymnastitcheskaya (archives privées)

Ma mère ouvrit la porte au bout de quelques instants . La maisonnée fut vite réveillée, mon père, mes sœurs et l’oncle Micha accoururent. Puis, prévenus par Natacha, arrivèrent les Gvosdev (tante Idia, Malgossia et Petia) qui habitaient au second étage.

Mon frère Fédor venait de terminer sa permission et était déjà reparti sur le front Roumain (il était maintenant dans l’Armée Active, promu sous-lieutenant après avoir terminé l’Institut d’artillerie de Mikhaïl). Vikentii Ivanovitch Fefer était aussi reparti au front.

Mes parents étaient frappés par ma maigreur, j’avais perdu près de 15 kg pendant ma maladie. Après m’être restauré et dormi un couple d’heures, je sortis pour aller m’enregistrer au Commandement militaire.

Ekaterinoslav commençait à prendre un air triste, d’une part parce que c’était l’hiver, d’autre part par les effets de la « démocratisation » du Gouvernement Kerenski. L’Ukraine était riche, et il n’y avait pas de vrai problème d’approvisionnement mais les queues commençaient quand même à apparaître devant les boulangeries.

Les visages des passants étaient de plus en plus soucieux : on voyait partout des capotes grises des soldats et des officiers, les hôpitaux étaient remplis de blessés,  et il y avait de plus en plus d’assassinats politiques et d’attaques de banques par des anarchistes.

Notre ville était devenue un Centre d’évacuation et il y aurait plus de 40 000 militaires bloqués dans la ville et qui n’étaient pas désireux de rejoindre l’armée active.

L’Ordre N°1 de Gouchkov, les slogans  « la paix pour les chaumières et la guerre pour les palais », et les effets économiques de la spéculation  produisaient leur effet dévastateur sur le moral de la population et les militaires.

Ma permission devait être prolongée jusqu’à Noël compte tenus des événements de la  « Révolution d’Octobre » avec Lénine attaquant le gouvernement Républicain Provisoire de Kerenski . En fait la guerre civile commençait déjà.

J’ai profité de cette permission pour revisiter mon lycée dont certains professeurs (notamment mon professeur  Goubenko)  étaient partis au front.

Mais il fallait revenir à Petrograd où Kajai et moi arrivâmes avec quelque retard dû au fonctionnement irrégulier des trains.

Fin des permissions

Ayant à peine franchi l’entrée de la caserne, Kolia et moi furent interpellés par le gardien qui nous dit de partir au plus vite d’ici car très tôt ce matin presque toute notre Compagnie avait été arrêtée par des marins révolutionnaires armés et emmenée à la prison militaire de Cronstadt.

Nous filâmes chacun de son coté chez les parents ou amis en se promettant de nous tenir mutuellement au courant.

Plus tard nous apprîmes  que notre сommandant, le lieutenant A.A. Schmidt avait, pendant plusieurs jour, couru toutes les administrations et avait réussi à faire libérer nos camarades.

Lorsque la nouvelle fut connue, tout le monde se retrouva à notre Institut pour finir le mieux possible les études.

Début février 1918 , le Commandant de la Compagnie nous informa que, compte tenus de la situation politique, le commandement supérieur, en accord avec le conseil d’administration présidé par le contre-amiral Frolov, a décidé de ne pas procéder aux derniers examens et de promouvoir  sans attendre toute notre 1ère compagnie de gardes-marine seniors de la promotion 1915 au grade de mitchman (enseigne de vaisseau)

Mitchman Rosoff (Album Ivan Rosoff)

Le 24 février 1918 : ainsi finirent nos études de 32 mois et nous sommes devenus mitchman de la troisième promotion des  « gardes-marines  noirs » 

C’est alors que nous apprîmes que le général Kornilov, chef de l’Armée Blanche, combattais les bolcheviques dans le sud de la Russie.


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